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mercredi 19 février 2014

Décivilisation

Malgré les tentatives du vocabulaire officiel pour obscurcir indéfiniment les constats, ce n'est pas au seul recul de l'aménité, de la courtoisie, de la civilité – contrairement à ce que voudrait faire croire le terme comique d' incivilités, litotiquement employé pour désigner des actes d'agression caractérisée - , que se mesure la décivilisation en cours : c'est à la violence pure et simple, aux arrachages de sacs de vieilles dames, aux attaques à main armée, au racket, à la croissante insécurité dans les trains, dans les métros, dans les autobus, dans les rames du R.E.R., à la surpopulation carcérale, aux assauts menés contre les services publics, contre les commissariats de police, contre les casernes, contre les pompiers, contre les médecins, contre les travailleurs sociaux.
Face à ces situations de délitement de l'ordre public, les gouvernements réagissent en promettant une présence plus marquée des forces de l'ordre, ce qu'ils n'ont guère les moyens ni d'ailleurs la volonté d'assurer, et une surveillance sans cesse accrue des lieux publics. Mais pareille réaction est le signe, je crois, d'un total malentendu.
Il se peut que la population in-nocente accueille favorablement, sur le moment, encore qu'elle n'y croie guère, de telles annonces de renforcement desdites politiques sécuritaires ; mais ce qu'elle souhaite à un peu plus long terme n'est en aucune façon une présence policière augmentée, des contrôles d'identité plus fréquents, l'érection de barrières métalliques prétendument infranchissables jusqu'au sein des lycées et des hôpitaux, la multiplication incessante des caméra de sécurité. Elle n'aspire pas à une fortification panoptique du monde et de tous les moments de l'existence, ni à une tranquillité aporétique qui ne serait due qu'à une tension vigilante jamais relâchée. Ce ne sont pas là des idéaux de civilisation, pour le coup.
(…)
Pour commencer de lutter sérieusement contre la violence elle-même, contre le désir de violence, contre la volonté de nocence, il faudrait accepter de s'interroger sur le type de société qui les produit. Or nous avons relevé à plusieurs reprises l'horreur de l'époque pour les mauvaises nouvelles idéologiques, dont elle n'a rien de plus pressé que de déclarer qu'elles sont fausses, tandis qu'elle nomme criminels ceux qui ont la malchance ou le courage de les apporter.

Renaud Camus, Décivilisation



La société devient de plus en plus brutale, non seulement violente et délinquante, criminelle, mais à tout moment grossière, agressive, mufle, incivile, à mesure qu'elle est plus idéologiquement et médiatiquement bien-pensante : comme si l'exigence là la libérait de toute contrainte ici, et l'idéologie de la morale. Les mêmes qui, en sortant d'un ascenseur, passent devant vous en vous marchant sur les pieds sans vous voir et sans interrompre leur conversation avec des tiers sont prêts à vous donner l'instant d'après de sérieuses leçons sur l'égalité entre les hommes, entre les hommes et les femmes, entre les enfants et les vieillards, entre les races qui n'existent pas. D'une société qui n'a d'autre mot à la bouche qu'ouverture et diversité s'efface progressivement le regard, cette façon de reconnaître l'autre et d'abord de le voir et de laisser paraître qu'on le voit, qu'on lui fait sa place dans la communauté d'espèce.
Renaud Camus, Décivilisation

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