On
annonçait du scandale, de la tension, des incidents de prétoire,
des pugilats dans la salle et un témoin-vedette, Alain
Finkielkraut. Nous eûmes de la sérénité, de longs débats dans un
silence de cathédrale, un public attentif (jusqu'à 21 heures
passées) et pas le moindre Finkielkraut à l'horizon. Le procès de
l'écrivain Renaud Camus, poursuivi
hier pour incitation à la haine raciale devant la XVIIème chambre
correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, aura été
surprenant de bout en bout. Sans doute la personnalité très
particulière du prévenu y fut-elle pour beaucoup...
Grand
Remplacement
Petit
retour en arrière : le 18 décembre 2010, Renaud Camus
participe aux " Assises sur l'islamisation ", organisées
par Riposte Laïque, Résistance Républicaine et le Bloc
identitaire, à l'espace Charenton, à Paris. Devant mille personnes,
alors que des contre-manifestations " anti-fascistes "
grondent à l'extérieur du bâtiment, l'écrivain y prononce un
discours intitulé " La nocence, instrument du Grand
Remplacement ", dans lequel il établit un lien entre
immigration et fin de la civilisation française. La tonalité
générale de ces " Assises ", on l'aura compris, est
modérément islamophile et la journée se termine par le discours
triomphal d'Oskar Freysinger,
leader politique suisse à l'origine du vote anti-minarets. Des
policiers en civil avaient été dépêchés dans la salle par la
Préfecture de police avec ordre de réagir au moindre dérapage. Ils
n'estimèrent pas devoir le faire.
Dix mois plus tard, le MRAP (Mouvement contre
le racisme et pour l'amitié entre les peuples) décide de porter
plainte contre Renaud Camus pour les propos tenus ce jour-là. C'est
ce qui lui vaut de comparaître ce 21 février devant la XVIIème
chambre correctionnelle.
Le
tribunal commence donc par diffuser la vidéo du fameux discours. On
y entend Renaud Camus, par ailleurs fondateur du Parti de
l'In-nocence, assimiler l'islam à une religion de conquête, dont
les " voyous " de banlieue seraient les soldats. Selon lui,
" en rendant la vie impossible aux indigènes [comprendre
les Français de souche]
" les incivilités et l'ultra-violence des jeunes issus de
l'immigration ne seraient que le prélude à une contre-colonisation
et à un changement de civilisation. C'est ce qu'il appelle -le
concept a largement diffusé dans les milieux d'extrême-droite- le
Grand Remplacement.
"Je
suis farouchement opposé à l'immigration."
Fin
de la vidéo et arrivée de Renaud Camus à la barre. La présidente,
Anne-Marie Sauteraud, l'invite
à se présenter : " Je suis écrivain depuis quarante ans et
j'ai publié une centaine de livres, commence-t-il, sanglé dans un
costume avec pochette. Je suis aussi le fondateur d'une petite
formation politique, le Parti de l'In-nocence, qui n'est pas
exactement, le tribunal s'en sera sans doute avisé, un parti de
masse. Ce parti dénonce toutes les nocences, les nuisances, les
atteintes écologiques aussi bien que les problèmes de voisinage. Je
ne suis pas particulièrement islamophobe, mais je suis désespéré
de constater que la civilisation française est en train de
disparaître sous l'effet d'une immigration massive, à laquelle je
suis farouchement opposé. "
L'avocat
du Mrap, Pierre Mairat, tente bien d'arrêter la démonstration de
Renaud Camus, rappelant qu'il a appelé à voter Marine Le Pen lors
de la dernière élection présidentielle. " Elle est en effet
celle qui est la moins éloignée de mon combat, rétorque
l'écrivain. Mais diriez-vous de François Bayrou, lequel a appelé à
voter François Hollande, qu'il est socialiste ? " Durant une
heure et demie, devant une salle silencieuse
qui lui est largement favorable (étrangement, pas un seul militant
du Mrap n'a cru bon de faire le déplacement pour ce procès ô
combien emblématique), porté par une certaine éloquence classique,
sans rien renier de ses convictions parfois radicales, Renaud camus
déploie son argumentaire.
La
défection de Finkielkraut
Il
est temps de faire entrer les témoins de la défense. On annonçait
Alain Finkielkraut, susceptible, disait-on, de faire basculer
l'audience par son aura. Mais le philosophe, qui ne fait pas mystère
de son amitié pour Renaud Camus, s'est désisté voilà deux jours.
La raison ? Il ne croit pas pouvoir défendre les propos incriminés
et pense qu'il desservirait la cause, a-t-il confié à Camus, selon
le Journal
intime que ce dernier met chaque jour en ligne.
Le
philosophe Robert Redeker, autre
témoin-vedette annoncé, a lui été contraint de renoncer à venir.
Objet d'une fatwa islamiste à la suite d'une tribune publié dans Le
Figaro,
il vit caché sous protection policière depuis quatre ans. Mais il a
laissé un long message, dont l'avocat de Camus, Me
Karim Ouchikh, lit
quelques extraits. Il y déclare notamment que les accusations du
Mrap " visent à bâillonner un écrivain, dont le Journal
est comparable à celui d'un Montaigne de notre temps ", qui
serait victime d'un " bannissement social " pour avoir mis
des mots sur une réalité.
Deux
témoins déroutants
Faute
de Finkielkraut et de Redeker, ce sont deux témoins étonnants qui
font leur entrée. Voici venir Farid Tali, 36 ans,
professeur de lettres dans un collège de banlieue. Ce jeune homme
d'origine marocaine a naguère publié un ouvrage avec Renaud Camus,
Incomparable
(P.O.L). D'une voix posée, il raconte combien il a été choqué de
découvrir le fort sentiment anti-français chez ses élèves
d'origine étrangère. "Lorsque je leur ai dit que j'étais
patriote, ils m'ont traité de traître. C'est comme si la France
leur était extérieure ", déplore-t-il.
Me
Mairat, l'avocat
du Mrap, tente de minimiser la signification de ces réactions de
collégiens. Etrangement, il ne semble pas savoir que Farid Tali a
publiquement soutenu Marine Le Pen et ne lui pose pas la moindre
question à ce propos. Pas plus qu'il ne tirera parti, d'ailleurs, de
la défection d'Alain Finkielkraut, qu'il aurait pourtant été
facile de faire passer pour un désaveu symboliquement lourd de sens
aux yeux du tribunal...
C'est
au tour du second témoin, Marcel Meyer, de venir
à la barre. Ce retraité, fidèle du Parti de l'In-nocence, raconte
en détail comment lui, son épouse et leurs trois enfants ont fini
par quitter leur maison de Seine-Saint-Denis, exaspérés par les
cambriolages à répétition, les menaces et les rodéos de scooters
des " jeunes de banlieue ". " Mon expérience prouve
que la réalité décrite dans le discours de Renaud Camus poursuivi
aujourd'hui est tout à fait plausible ", conclut-il.
Camus
contre-attaque !
Au
tour des avocats d'entrer en piste. Me Mairat déroule les méfaits
de la décolonisation, le 17 octobre 1961, la Résistance, les délits
de faciès et réclame 5000 euros de dommages et intérêts à Renaud
Camus. Me Ouchikh conteste l'accusation,
estimant que son client est dénué de toute " haine " et
qu'il n'a fait que " mettre des mots sur une réalité ".
Finalement, le substitut du procureur requiert
une condamnation, estimant que l'écrivain s'est bien rendu coupable
d'une forme de " racisme sophistiqué, parfois fumeux, non sans
un certain souffle littéraire."
On s'apprêtait donc à quitter la salle
d'audience -il était 21 heures et le procès avait débuté cinq
heures plus tôt...- quand Renaud Camus a demandé une dernière fois
la parole. Et l'on a alors assisté à ce spectacle stupéfiant d'un
accusé faisant publiquement le procès de l'avocat qui le
poursuivait ! "Vous avez dit beaucoup de choses qui m'ont heurté
dans votre plaidoirie, a commencé l'écrivain, s'adressant à Me
Mairat. Sachez donc que je suis un ardent admirateur du général de
Gaulle et de Frantz Fanon et que vos insinuations sur mon supposé
pétainisme sont dénuées de tout fondement. Et pour terminer, je
vous propose une nouvelle appellation pour le Mrap: Mouvement Pour le
Remplacement Accéléré du Peuple". Le tribunal en est resté
coi.
Jugement le 3 avril.
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