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vendredi 7 mars 2014

La doctrine Poutine et l'Ukraine

Entre Vladimir Poutine et les Occidentaux, le jeu est inégal – comme le montrent, une fois de plus, les événements d'Ukraine. L'un a une stratégie, les autres, des intérêts. L'un est adepte des sports de combat, les autres aimeraient jouer au badminton.



Américains et Européens croient avoir affaire à un partenaire difficile mais qui pense comme eux : développement économique, marchés globalisés, stabilité stratégique, etc. Ils refusent de voir que l'homme du Kremlin n'a pas les mêmes priorités. Poutine a une vision, une doctrine, fondée sur une conviction : la disparition de l'URSS a été « le plus grand désastre géopolitique du XXe siècle ». Il s'est donné une mission : restaurer ce qui peut l'être de l'imperium soviétique. Le stratège carbure à la nostalgie.
 Il n'était pas là pour empêcher que les pays baltes rejoignent l'OTAN, après ceux d'Europe centrale et orientale. Il s'est juré qu'il ne céderait plus une verste de l'ex-empire. Il s'efforcera de maintenir ou de rétablir une forme de tutelle russe partout où il juge que celle-ci est menacée. Dans cette aire sous influence, la souveraineté des voisins de la Russie sera « limitée », comme elle l'était pour les Etats satellites de l'URSS du temps de la « doctrine Brejnev » (du nom de celui qui, de 1964 à 1982, fut à la tête de la direction soviétique).
L'EXPANSIONNISME, UNE COMPOSANTE DE L'IDENTITÉ RUSSE
Poutine n'imagine pas la Russie sans une forme d'empire alentour, comme si l'expansionnisme était une composante de l'identité russe. Lancé en 2011, le nouveau regroupement s'appelle l'union eurasiatique, qui, outre la Russie, compte pour l'instant le Kazakhstan et la Biélorussie. Ceux des pays destinés à en faire partie, selon le Kremlin, paient cher leur volonté d'émancipation. La Géorgie a été amputée par la force d'un cinquième de son territoire en 2008 : les troupes russes ont détaché les régions d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. L'Ukraine vient d'être privée de la Crimée.
Dans un livre de 1997, Le Grand Echiquier (Bayard), l'Américain Zbigniew Brzezinski voulait « faire prendre conscience aux Russes du fait qu'une redéfinition de leur identité sur des critères nationaux, exclusifs de tout projet impérial, est la condition de leur libération, non de leur capitulation ». Un des tests cruciaux de cette évolution, écrivait-il, sera le comportement du Kremlin à l'égard de l'Ukraine.
« Zbig » a échoué, manifestement. Passe encore que l'Ukraine ne rejoigne pas l'union eurasiatique. Mais la doctrine Poutine ne saurait tolérer que le gouvernement de Kiev envisage un partenariat commercial avec l'Union européenne – il ne s'agissait en novembre 2013, rappelons-le, ni d'une adhésion à l'UE et encore moins à l'OTAN. Mais ce seul rapprochement avec Bruxelles est assimilé à un passage à l'ennemi – quelque chose à torpiller immédiatement. Car la « doctrine Poutine » s'appuie sur une bonne dose de paranoïa, entretenue par le battage des médias d'Etat. Ceux-là dressent le portrait d'un Occident à la fois décadent, déclinant et menaçant, quotidiennement occupé à affaiblir la Russie.
VILAINE MANIÈRE
Longtemps, certains Occidentaux ont mal dormi, taraudés par la mauvaise conscience d'une vilaine manière faite à Moscou lors du démantèlement de l'URSS. Le Kremlin attendait que la dissolution du pacte de Varsovie, l'alliance militaire pilotée par la Russie en Europe, débouchât sur celle de l'OTAN, le bloc occidental. Au minimum, celui-ci ne devait pas être étendu aux ex-pays de la zone soviétique. Ce ne fut pas le cas.
Dans des Mémoires publiés en janvier, le républicain Robert Gates, ancien patron de la CIA et ex-secrétaire à la défense, pas vraiment un tendron pacifiste, le regrette.
« L'extension de l'OTAN, si rapidement après l'effondrement de l'Union soviétique, à nombre des Etats jusqu'alors sous la tutelle de Moscou, fut une erreur, écrit-il. Les Occidentaux, et particulièrement les Etats-Unis, n'ont pas mesuré l'ampleur de l'humiliation ressentie par les Russes, avec l'éclatement de l'URSS qui revenait pour eux à tirer un trait sur un empire vieux de plusieurs siècles. »
Pour Gates, vétéran de la guerre froide, « l'arrogance » occidentale a nourri le revanchisme russe. Peut-être. Mais « Bob » Gates écrirait-il la même chose aujourd'hui ? A l'aune du sort réservé à l'Ukraine, les pays baltes doivent se féliciter d'avoir rejoint l'OTAN .
Son coup de force réussi, Poutine a trois options, estime l'expert américain Richard Haass, président du Council on Foreign Relations. Il peut garder la Crimée « en compensation » de la « perte » de l'Ukraine. Il peut s'en servir comme atout dans une négociation où il impose aux Occidentaux un droit de regard sur l'Ukraine. Il en fait le marchepied d'une intervention militaire plus large, visant à contrôler les régions orientales de l'Ukraine, au nom de la défense des russophones. Le prétexte a été invoqué pour la Crimée, il peut l'être ailleurs, observe l'historien Jacques Rupnik, de Sciences Po.
Poutine a des cartes solides. Son coup de force de 2008 en Géorgie est resté impuni. Il sait que son pays est le troisième partenaire commercial de l'UE et l'un de ses premiers fournisseurs en énergie : l'Europe ne sanctionnera pas sérieusement la Russie. Les Etats-Unis, qui ont un gros casier judiciaire en matière d'interventions étrangères, hésiteront aussi. A tort ou à raison, ils jugent avoir besoin de Moscou ailleurs – en Syrie, en Afghanistan, en Iran. L'application de la « doctrine Poutine » à l'Ukraine ne devrait pas coûter trop cher au Kremlin.

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