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mercredi 9 avril 2014

Interview d'Olga

Et si on écoutait, pour changer, l'avis d'une ukrainienne sur l' Ukraine ?

En Ukraine, la situation est toujours incertaine à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie. L’Edito a eu la chance de pouvoir s’entretenir avec une ukrainienne engagée. Olga Gerasymenko, présidente de l’association française Perspectives Ukrainiennes a en effet accepté de répondre à nos questions et de nous livrer ses ressentis sur la situation actuelle. Entretien.

• Qui étaient vraiment les manifestants de la place Maïdan ?
Votre question est très vaste. Je pense que les manifestants de Maïdan Nezalejnosti (place de l’Indépendance) sont des Ukrainiens comme les autres. Peut-être juste un peu plus courageux, idéalistes, désespérément amoureux de leur pays qui est pour eux comme le prolongement de leurs familles. Je les aime beaucoup, j’ai confiance en eux.
Si vous faites allusion à l’extrême droite dont on a tellement parlé en France, alors la grande majorité des manifestants ne font partie d’aucun mouvement politique ni idéologique. Ce sont de simples gens comme vous et moi.
Quand vous regardez les intentions de votes pour les deux candidats d’extrême droite aux élections au poste de Président d’Ukraine qui auront lieu le 25 mai prochain, alors les deux ensemble ne prendront pas plus de 3.5% de voix. C’est bien inférieur au soutien dont dispose l’extrême droite en France.
• Ces derniers temps, la situation en Ukraine a été très tendue, notamment après le rattachement de la Crimée à la Russie. Comment avez-vous vécu cela ? Avez-vous senti ces tensions ?
L’annexion de la Crimée par la Russie est une question très douloureuse pour moi. Même si je n’ai pas de liens directs avec la péninsule, je me sens désormais amputée d’une partie de mon pays, de mes souvenirs, de mes droits.
Notre association a été contactée par des Ukrainiens originaires de Crimée, très inquiets pour leurs proches qui sont restés là-bas et pour leur propre devenir. La question d’une aide humanitaire a même été soulevée – en effet, la presqu’île n’a pas de ressources en eau potable, et est dépendante de l’Ukraine en électricité et pour d’autres ressources. Le système bancaire y a été coupé également, les gens ne reçoivent plus ni leurs retraites, ni subventions, ni payements.
Nous sommes tous très inquiets particulièrement pour les Tatares de Crimée, ce peuple autochtone déporté par Staline et qui n’avait obtenu le droit de retour en Crimée qu’à la chute de l’URSS. Toutes les blessures admises par Moscou n’ont pas encore eu le temps de se cicatriser, donc cette nouvelle agression doit les affecter profondément.
On ressent les tensions au sein de la société ukrainienne puisqu’elle n’a plus droit à l’erreur – on ne veut pas vivre la répétition de la post Révolution Orange. D’où le manque de confiance envers les politiques et l’application de la société civile dans la construction de l’Etat. Sinon, mis à part un manque de crédit vis-à-vis des classes politiques, le peuple ukrainien reste serein et sûr de ses propres forces, de son bon sens, de son droit de vivre dans une société juste et dans un Etat de droit.
• Quel est votre sentiment vis-à-vis de la Russie ?
Je n’ai pas de ressenti particulier vis-à-vis de la Russie, j’ai d’ailleurs de la famille là-bas. J’ai plutôt des questions pour le Kremlin et Vladimir Poutine. Dans quel état d’esprit faut-il être pour couper la branche sur laquelle on est assis ? Violer le droit international vis-à-vis de son voisin le plus proche risque non seulement déstabiliser la situation dans d’autres parties du monde, mais également créer des problèmes pour la Russie elle-même…. Qui sait – peut être que demain la Chine voudra venir « au secours » des populations ethniques chinoises qui peuplent l’extrême Orient russe ? Poutine a montré un manque de vision à moyen –long terme. C’est dangereux pour un dirigeant d’un pays aussi vaste et aussi important.
Si, finalement j’ai un avis vis-à-vis des cousins russes – si vous soutenez Poutine dans sa folie, c’est vous qui êtes responsables de l’agression de l’Ukraine.
• Que pensez-vous de l’annexion de la Crimée ? Pensez-vous que Poutine a véritablement écouté le peuple ?
Poutine a joué la carte qui était dans sa manche depuis longtemps. On voit qu’il n’est pas dans l’improvisation. Poutine qui écoute un peuple quelconque ? Mais c’est du jamais vu.
• D’après vous, la Crimée doit-elle revenir à l’Ukraine ? Si oui, comment ?
Dans la législation ukrainienne les territoires et les peuples ont le droit à l’autodétermination par un référendum, mais c’est une procédure strictement encadrée par la Constitution ukrainienne. Donc, théoriquement le référendum pour l’autonomie élargie ou l’indépendance de la Crimée aurait pu avoir lieu. Mais pas tel qu’il a été décidé par le Kremlin. Je connais mal la législation russe en matière de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais on a vu à quoi a mené l’aspiration de la Tchétchénie à l’indépendance. Je pense que les Criméens qui ont joué au jeu du Kremlin n’ont pas encore mesuré toute la gravité de la situation dans laquelle ils se retrouvent à présent.  Après la première euphorie, ils vont vite revenir à la réalité.
Hélas, j’ai peur que la Crimée ne devienne de nouveau ukrainienne qu’en cas de désagrégation de la Russie. La disparition de la Russie en tant qu’un Etat ce n’est pas quelque chose qui est souhaitée par les ukrainiens, puisque cela signifierait une déstabilisation de la région…. mais vu le virage que la politique extérieure de Poutine a pris, il a fragilisé son pays et le scénario de décomposition de l’Etat russe est devenu bien plus probable qu’on ne pouvait l’imaginer il y a encore quelques mois.
• Comment l’action de Poutine est-elle ressentie en Ukraine ? Pensez-vous qu’il risque de vouloir envoyer ses troupes plus loin dans le pays  ?
En Ukraine on ressent l’action de Poutine comme une agression gratuite. Vu l’humiliation que l’armée ukrainienne a dû subir sur ses bases en Crimée de la part des mercenaires et militaires russes, le peuple s’est soudé autour d’elle. Les gens envoient des dons pour cofinancer l’armée ukrainienne. Toutes ces dernières années, les ukrainiens se sentaient suffisamment en sécurité et ne comprenaient pas l’utilité de l’armée (on était censés être protégés par les garanties des Etats signataires du Mémorandum de Budapest, dont la France !), en conséquence les jeunes gens ont toujours cherché à éviter d’être appelés (avant que l’armée ne devienne professionnelle – normalement à l’horizon 2017). Or aujourd’hui les jeunes et les moins jeunes viennent d’eux-mêmes s’inscrire à l’armée pour défendre le territoire de l’Ukraine.
Depuis ces quelques semaines, on nous a fait comprendre à l’Occident que l’annexion de la Crimée pourrait encore passer auprès de la communauté internationale (malgré le vote à l’ONU par 100 membres en faveur de la condamnation de l’annexion de la Crimée, ce vote est consultatif et non obligatoire pour obliger la Russie à rendre le territoire annexé), mais que l’avancement ailleurs sur le territoire ukrainien serait un erreur fatal pour Poutine.
Moi, comme la majorité d’ukrainiens, je ne peux pas accepter cette donne. La Crimée est ukrainienne, malgré les éléments de langage qu’on faisait apprendre à l’école soviétique par cœur ( sic : « Sébastopol la ville de la gloire russe »…. Or Sébastopol est plutôt la ville de la honte russe– où on a fait tuer un grand nombre de braves gens au nom des ambitions impériales de la Russie complexée et vu l’actualité ce n’est pas prêt de cesser). En effet, la Crimée ne faisait partie de la République socialiste soviétique fédérative russe qu’entre 1946 et 1954, précédemment soit elle faisait partie de l’empire russe (mais comme l’Ukraine, la Pologne, la Finlande dans différentes périodes de leurs histoires), soit c’était une république soviétique (avant la deuxième guerre mondiale)…
Poutine risque vouloir beaucoup de choses, mais pourrait-il c’est une autre question. L’armée russe a des contraintes logistiques, matériels, etc.
• Pensez-vous que l’Europe, et le reste du monde n’ont pas assez réagi à la suite de l’annexion de la Crimée ?
Oui. On peut essayer de comprendre le monde occidental –  pourquoi énerver davantage un ours affamé ? C’est aussi la faute de l’Ukraine, qui depuis 23 ans d’indépendance n’a pas su assez se faire reconnaitre, les occidentaux, les citoyens lambda, ont presque découvert l’Ukraine depuis fin 2013. Et en raison des efforts titanesques de la propagande russe l’image de l’Ukraine qui passe à l’Occident est encore déformée. Ainsi, j’ai eu l’impression que pour de simples européens, découvrir que la Crimée est ukrainienne est devenue une désagréable surprise « que veulent-ils ces ukrainiens, Yalta c’est la Russie, non ? ».
Bref, la Crimée est devenue une sorte de Fukushima ukrainienne : on a prévu des scénarios catastrophes, mais pas cela – un couteau dans le dos de la part du voisin le plus proche.
• Avez-vous peur pour votre avenir ou au contraire êtes-vous confiante ?
Si Poutine lâche l’Ukraine, je serai confiante en l’avenir de mon pays. Nous avons survécu au pire – les manifestants paisibles fusillés par les autorités. Qu’y a-t-il de pire dans un pays ? La guerre civile je n’y crois pas. Toutes les perturbations en Ukraine viennent de l’extérieur. Suivez mon regard.


Yoann Faure.

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