Réponse au paragraphe 4 de l'article d'Alain de Benoist consacré à la crise en Ukraine
ADB,
en introduction de son billet consacré à la crise en Ukraine,
souligne le fait que l'on a affaire à « une situation
complexe ». Trois paragraphes plus loin, il écrit que
concernant la Crimée, « les choses sont à la fois plus
claires et plus simples ». Plus claires et plus simples ?
C'est sûr, l'absence de journalistes non-russes sur le terrain
rendent les choses simples et claires. C'est sûr, si la seule
information à disposition est celle des médias russes, les choses
sont simples et claires. C'est sûr, à écouter le discours de
Poutine, tout est simple et clair. Circulez, y'a rien à voir !
Le plus clair selon moi, c'est la multiplication des zones
interdites, des menaces, des intimidations, des agressions, des
enlèvements de journalistes.
Je
ne reviens pas sur la démographie ni sur l'historique de la Crimée,
car, je le répète : il ne s'agit pas de contester que cette
région est un territoire intimement lié à la Russie. Il ne s'agit
pas non plus de contester qu' elle abrite la flotte russe,
Sébastopol constituant le point d’accès de la Russie aux « mers
chaudes ». On pourra souligner tout de même que la présence
de la flotte russe résultait d'' un accord entre la Russie et
l'Ukraine souveraine, l’accord de Kharkov (signé en 2010) selon
lequel la Russie disposait des installations militaires criméennes
jusqu’en 2042, avec une option pour 5 années supplémentaires. En
envoyant les militaires stationnés en Crimée pour neutraliser les
bâtiments officiels ukrainiens, il est clair que les Russes ont
trahi la confiance que l'Ukraine leur avait accordé. L'agression est
donc double : envoi massif de troupes depuis la Russie, et
déploiement depuis l'intérieur de l'Ukraine. Mais bon, ADB semble
trouver cela normal, puisqu'il n'en parle pas. Il reparle, en
revanche de l'OTAN. Ce doit être une obsession. L'OTAN, à ce
moment, n'a pourtant pas grand chose à voir dans cette histoire. ADB
fait une fixation sur l'OTAN qui n'avait pas montré le bout de son
nez, et occulte complètement le déploiement massif et réel, lui,
de l'armée russe, non seulement en Crimée, mais aussi tout le long
de tous les pays d'Europe de l'est.
Que
Poutine soit nostalgique des frontières de l'URSS en même tant que
paranoïaque, voilà qui est compréhensible eu égard à son passé
au sein du KGB et à la chute de l'URSS qu'il a vécue. Mais qu' ADB,
comme Mélanchon ou Le Pen d'ailleurs (c'est ça qui est bien avec
Poutine : il arrive à regrouper dans une même détestation de
l'Amérique du Nord tous les admirateurs des régimes autocratiques,
communistes main dans la main avec les prétendus nationalistes) puisse penser que l'OTAN allait
prendre le contrôle de la Crimée, là, on peut se demander ce qu'il fume... Soyons sérieux.
Premièrement, l'Ukraine n'avait aucun intention d'adhérer à
l'OTAN, qui d'ailleurs était en déclin, comme je l'ai montré dans
la partie précédente. Deuxièmement, la Crimée abrite déjà des bases russes, et serait facilement resté sous contrôle russe en prolongeant
l'accord de Kharkov. Les agissements russes ressuscitent en revanche
une guerre froide qui s'était éteinte, et redonne à l'OTAN toute
les raisons d'exister. En même temps, on peut facilement comprendre
que tous les pays d'Europe de l'est qui s'étaient libérés de
l'emprise de Moscou accueillent très favorablement des bases de
l'OTAN. Face à une Russie menaçante et désormais indigne de
confiance, qui pourra blâmer la Pologne ou les pays Baltes d'appeler
à la rescousse la seule puissance capable de rivaliser avec la
Russie ? Rappelons que, nonobstant ses dérives, l'OTAN, à
l'origine, a été créée avant tout pour assurer la défense
commune des nations de l'Atlantique Nord alliées contre les menaces
extérieures ainsi que la stabilité du continent européen et
Nord-Américain. Si j'étais Ukrainien, je souhaiterais aujourd'hui fortement que mon pays adhère à l'OTAN ; si j'étais lituanien ou polonais, je remercierais les dirigeants qui ont donné leur accord à l'implantation de bases de l'OTAN en Lituanie ou en Pologne!
ADB
s'éloigne de l'Europe et nous propose un tour du monde des diverses
annexions pour nous convaincre que comparer l'annexion de la Crimée
à l'annexion de l'Autriche, c'est vraiment « ridicule ».
Quelques lignes plus loin, ADB ne trouve pas du tout ridicule de
comparer le référendum en Crimé à celui qui se déroulera très
prochainement en Ecosse. Je suis désolé, Monsieur de Benoist, mais
si l'on veut faire des comparaisons, la comparaison avec l'Anschluss
est la moins ridicule de toutes : si l'on remplace russophones de
Crimée par germanophones d'Autriche, on obtient presque la même
histoire (arrivée des militaires précédant la prise des bâtiments
et le référendum, accueil triomphal par les populations locales,
résultats du référendum comparables, etc etc)
ADB,
ensuite, nous offre une petite balade dans l'espace et dans le temps.
La
décision « arbitraire » de donner la Crimée à
l'Ukraine, dont parle ADB est toute relative. Je n'entre pas dans les
détails puisqu' ADB, encore une fois, affirme quelque chose sans
trop développer. En observant une carte, on remarquera tout de même
que géographiquement parlant, la Crimée est liée à l'Ukraine
alors qu'il n'existe pas de voie terrestre la reliant à la Russie
(d'où le projet de pont du botoxé du Kremlin)
ADB
enchaîne ensuite sur la question de la farce du référendum (mais
attention, hein, pour lui, ce n'est pas une farce...). Et écrit le
plus sérieusement du monde que « 97% des habitants de la
Crimée ont exprimé leur désir d'être rattachés à la Russie ».
Je souligne tout d'abord qu'ADB a un problème avec les
mathématiques. Sachant que ni les Tatars ni les Ukrainiens n'ont pas
pris part au vote, qu'ils sont eux aussi des habitants de la Crimée,
et qu'ils représentent 13% pour les uns 24% pour les autres (soit
37% des habitants), il n'est nul besoin de sortir de Polytechnique
pour comprendre que l'on ne peut pas arriver à 97% des habitants
favorables à une Crimée russe. La « question » posée
était elle-même une farce, puisqu'il n'y avait le choix qu'entre
une Crimée indépendante et une Crimée autonome. Une Crimée
ukrainienne n'était donc pas envisageable. Mais peu importe, à vrai
dire, qu'il y ait eu fraude ou pas, et que le taux réel ait été de
60, 70, 80, ou 99%. La majorité des criméens étant russes, il est
bien évident qu'ils souhaitaient être rattachés à la Russie. Ce
référendum ne fut mis en place que pour amuser la galerie et faire
« oublier » le coup de force. Je ne comprends même pas
que des gens intelligents puissent s'y référer. Enfin, si, je
comprends bien : l'obsession de l'Empire
américano-ce-que-vous-voulez.
ADB,
lui, trouve donc ce référendum tout à fait normal... Et il trouve
la comparaison avec l'Anschluss complètement ridicule ! Ce qui
ne l'empêche pas de nous emmener dans l'espace et le temps pour nous
proposer d'autres comparaisons supposées non-ridicules, elles. Il
nous ballade donc un peu partout sur la planète, puis « atterri »
en Ecosse. Alors, là attention : pour ADB, la comparaison avec
l'Anschluss est ridicule, mais la comparaison avec l'Ecosse est
pertinente.
Arrêtons-nous
un instant sur ces deux cas. Le problème lorsque l'on parle de
l'Anschluss est que l'on fait systématiquement le lien avec Hitler
et avec ses crimes. Poutine n'est évidemment pas Hitler.
Cependant,
je dis et je redis (puisque j'avais déjà écrit un billet en ce
sens) que l'événement historique le plus proche de l'annexion de la
Crimée par la Russie est bien l'annexion de l'Autriche par
l'Allemagne. Dans les deux cas, on a un grande puissance militaire
voisine d'une région dont la population en majorité lui est
favorable. Dans les deux cas, des militaires sont envoyés
massivement pour neutraliser et contrôler les bâtiments officiels
(avec remplacement de drapeaux). Dans les deux cas, l'invasion
militaire précède un référendum. Les scènes de joies des
russophones de Crimée sont étonnamment semblables aux scènes de
joie des germanophones d'Autriche . Le discours de la propagande
russe justifiant l'annexion ressemble énormément au discours de la
propagande allemande justifiant l'annexion de l'Autriche. C'en est
frappant. Même les taux du référendum sont similaires. 97% en
Crimée, 99% en Autriche. Le record d'Adolf n'a pas été battu, mais
il s'en est fallu de peu (je rigole, je rigole). Les juifs ont fuit
l'Autriche sous la pression des germanophones nazis ; Les
Ukrainiens et les Tatars ont fuit la Crimée sous la pression des
russophones poutinisés. Et que dire de la suite ? Dans les deux
cas, le reste de l'Europe est gêné et ne réagit pas ou peu, est
soulagé lorsque le dirigeant du puissant pays affirme que les autres
territoires ne l'intéressent pas... tout en déployant toujours plus
de militaires à la frontière des territoires convoités.
On
le voit, la comparaison entre l'Anschluss, non seulement n'est pas si
ridicule qu'ADB le dit (il ne dit d'ailleurs pas pourquoi il la
trouve ridicule), mais elle est, je le répète, l'événement
historique le plus proche. ADB ne trouve pas du tout ridicule en
revanche de comparer le référendum en Crimée avec le futur
référendum en Ecosse. Là encore, on ne peut qu'être affligé
d'une telle bêtise. Alors, remettons les points sur les i :
Le
référendum en Écosse ne prend personne en traître. Cela fait de
nombreux mois qu'il est annoncé. Etait-ce le cas en Crimée ?
Non : quelques jours et le référendum fut plié.
Le
référendum en Ecosse fait-il l'objet d'un débat ? Oui. Et
tous les acteurs concernés participent : les responsables de
l'Ecosse, mais aussi ceux de la Grande-Bretagne, et ceux de
l'Angleterre. Etait-ce le cas en Crimée ? Non.
L'armée
est-elle intervenue dans le référendum en Ecosse ? Non.
S'agit-il de rattacher une petite région à un grand pays ? Non
(c'est plutôt l'inverse). Des journalistes sont-ils agressés,
menacés, enlevés ? Y a-t-il eu une condamnation de ce
référendum par un seul pays dans le monde ? Non.
Alors
il faudrait arrêter de prendre les gens pour des imbéciles,
Monsieur De Benoist !
Sur
la légalité du référendum, je ne suis pas un spécialiste. ADB ne
l'est pas non plus, ce qui ne l'empêche pas de nous donner une
leçon. Mais Sapir l'est, spécialiste. Il doit donc avoir raison. Il
n'est pas inutile, tout de même, de relever que la Russie a signé
le Mémorandum de Budapest. ADB n'en parle pas. Cela, me semble-t-il,
est, aussi, un argument à prendre en compte dans le débat de la
légalité ou non du référendum. Mais peu importe en fait : le
problème n'est ni historique, ni démographique, ni législatif.
C'est tout simplement un problème de comportement, d'attitude
responsable ou irresponsable, de choix entre une attitude de nation
civilisée ou de nation décivilisée, entre le dialogue et la force,
entre le compromis et la menace ; c'est une question de
confiance entre nations, de stabilité des frontières, de respect
mutuel. Pour reprendre une formule de Renaud Camus, je dirais que
c'est une question de nocence et d'in-nocence, appliquée non pas aux
personnes mais aux nations. La Russie, par ses agissements, perd son
honneur, perd son statut de puissance de confiance, va perdre
l'Ukraine au profit de l'Occident, va augmenter les rancoeurs des
Ukrainiens envers elle, va rendre nerveuses toutes les nations du feu
Pacte de Varsovie.
Et
puisqu' ADB se croit obligé de sortir un vieil adage latin Vieil
adage latin (ça doit faire savant...) : Nemo auditur
propriam turpitudinem allegans (« Nul ne
peut se prévaloir de sa propre turpitude »), je ne peux
m'empêcher de rappeler ce dicton enfantin « donner c'est
donner, reprendre c'est voler ». Ce que disent les enfants
naïvement relève du bon sens et s'applique au cas de la Crimée. La
Crimée fut donnée à l'Ukraine à l'époque soviétique. Certes,
elle a un statut particulier (une autonomie avancée) mais est restée
Ukrainienne lorsque l'Ukraine est devenue indépendante. La Russie
occupe donc un territoire qui ne lui appartient pas.
Le
droit des peuple à disposer d'eux-mêmes, c'est très bien. Mais ça
ne veut pas dire qu'on peut faire n'importe quoi, n'importe quand,
n'importe comment. Les frontières, ça existe ; les nations
souveraines, ça existe, la communauté internationale, ça existe.
Je soutiens que le rattachement de la Crimée à la Russie aurait pu
se faire autrement, et que la Russie en serait sortie grandie. Les
Etats-Unis ont acheté la Louisiane à la France et les deux partis y
ont trouvé leur compte. La Russie, riche nous dit-on, aurait pu
acheter ou fournir en gaz l'Ukraine en faillite, par exemple, en
échange d'un « vrai » référendum. Elle aurait pu
négocier avec l'Ukraine, attendre l'élection d'un nouveau
président. Elle n'a rien fait de tout cela, elle a privilégié la
force brutale, et il faut la sanctionner le plus durement possible,
même si cela doit nous coûter !
En
parlant de « coup d'Etat », ADB reprend à son compte la
sémantique de Poutine, qu'il prétend ne pas apprécier (qu'est ce
que ce serait s'il l'appréciait !). Une petite définition
s'impose : un coup d'état est le fait d'une personne ou d'un
petit groupe de personnes (souvent des militaires) qui renverse le
pouvoir de façon illégale et brutale (avec utilisation des armes).
Dans le cas Ukrainien, il ne faut donc pas parler de « coup
d'Etat » mais de « révolution » puisque le
renversement est venu du peuple. Que s'est-il passé ? Un peuple
s'est révolté contre un pouvoir criminel qui s'est enfui en Russie
(je renvoie à l'excellente analyse d'une « vraie »
spécialiste). ADB confond volontairement « coup d'Etat »
et « révolution » pour tenter de monter l'illégitimité
du gouvernement de transition ukrainien.
Je
ne vais pas m'étaler sur le Kosovo : ADB ne fait que répéter
ce que dit Poutine. Son raisonnement est que si A commet des méfaits
sur X, alors B peut commettre des méfaits sur Y. Avec des
raisonnements comme ça, on va loin. ! En outre, ADB n'a pas
compris que depuis l'ère Obama, il y avait eu comme une légère
évolution de la politique extérieure des Etats-Unis. Il est un peu
comme notre botoxé russe, ADB : il se trompe d'époque.
Pierre Aron
Je n'étais pas de son bord, mais sur la question de l'Ukraine, j'ai plutôt apprécié l'intervention de Marielle de Sarnez :
L'article
d'ADB :
1 L’affaire ukrainienne est une
affaire complexe et aussi une affaire grave (à une autre époque et
en d’autres circonstances, elle aurait très bien pu donner lieu à
une guerre régionale, voire mondiale). Sa complexité résulte du
fait que les données dont on dispose peuvent amener à porter sur
elle des jugements contradictoires. En pareille circonstance, il faut
donc déterminer ce qui est essentiel et ce qui est secondaire. Ce
qui est essentiel pour moi est le rapport de forces existant à
l’échelle mondiale entre les partisans d’un monde multipolaire,
dont je fais partie, et ceux qui souhaitent ou acceptent un monde
unipolaire soumis à l’idéologie dominante que représente le
capitalisme libéral. Dans une telle perspective, tout ce qui
contribue à diminuer l’emprise américano-occidentale sur le monde
est une bonne chose, tout ce qui tend à l’augmenter en est une
mauvaise.
L’Europe ayant aujourd’hui abandonné toute volonté de puissance et d’indépendance, c’est de toute évidence la Russie qui constitue désormais la principale puissance alternative à l’hégémonisme américain, sinon à l’idéologie dominante dont l’Occident libéral est le principal vecteur. L’ « ennemi principal » est donc à l’Ouest.
Je n’éprouve pour autant aucune sympathie pour le président ukrainien déchu. Yanoukovitch était de toute évidence un personnage détestable, en même temps qu’un autocrate profondément corrompu. Poutine lui-même a fini par s’en rendre compte – un peu tard, il est vrai. Je ne suis pas non plus un inconditionnel de Vladimir Poutine, qui est de toute évidence un grand homme d’Etat, très supérieur à ses homologues européens et américains, et aussi un praticien averti des arts martiaux acquis aux principes du réalisme politique, mais qui est aussi beaucoup plus un pragmatique qu’un « idéologue ». Cela ne change rien au fait que, pour autant qu’on puisse en juger aujourd’hui, la « révolution de Kiev » a servi avant tout les intérêts américains.
J’ignore si les Américains ont inspiré, voire financé cette « révolution » comme ils avaient déjà inspiré et financé les précédentes « révolution colorées » (Ukraine, Géorgie, Kirghizistan, etc.), en cherchant à canaliser des mécontentements populaires souvent justifiés pour intégrer les peuples dans l’orbite économique et militaire occidentale. Le fait est, en tout cas, qu’ils l’ont soutenue dès le départ sans aucune ambiguïté. Le nouveau premier ministre ukrainien, l’économiste et avocat milliardaire Arseni Yatseniouk, qui n’avait obtenu que 6,9% des voix à l’élection présidentielle de 2010, s’est d’ailleurs tout de suite précipité à Washington où Barack Obama l’a reçu dans le Bureau ovale, honneur généralement réservé aux chefs d’Etat. Sauf retournement imprévisible, les événements qui ont abouti à l’éviction brutale du chef de l’Etat ukrainien à la suite des manifestations de la Place Maïdan ne peuvent donc pas être considérés comme une bonne chose par tous ceux qui luttent contre l’hégémonie mondiale des Etats-Unis.
L’Europe ayant aujourd’hui abandonné toute volonté de puissance et d’indépendance, c’est de toute évidence la Russie qui constitue désormais la principale puissance alternative à l’hégémonisme américain, sinon à l’idéologie dominante dont l’Occident libéral est le principal vecteur. L’ « ennemi principal » est donc à l’Ouest.
Je n’éprouve pour autant aucune sympathie pour le président ukrainien déchu. Yanoukovitch était de toute évidence un personnage détestable, en même temps qu’un autocrate profondément corrompu. Poutine lui-même a fini par s’en rendre compte – un peu tard, il est vrai. Je ne suis pas non plus un inconditionnel de Vladimir Poutine, qui est de toute évidence un grand homme d’Etat, très supérieur à ses homologues européens et américains, et aussi un praticien averti des arts martiaux acquis aux principes du réalisme politique, mais qui est aussi beaucoup plus un pragmatique qu’un « idéologue ». Cela ne change rien au fait que, pour autant qu’on puisse en juger aujourd’hui, la « révolution de Kiev » a servi avant tout les intérêts américains.
J’ignore si les Américains ont inspiré, voire financé cette « révolution » comme ils avaient déjà inspiré et financé les précédentes « révolution colorées » (Ukraine, Géorgie, Kirghizistan, etc.), en cherchant à canaliser des mécontentements populaires souvent justifiés pour intégrer les peuples dans l’orbite économique et militaire occidentale. Le fait est, en tout cas, qu’ils l’ont soutenue dès le départ sans aucune ambiguïté. Le nouveau premier ministre ukrainien, l’économiste et avocat milliardaire Arseni Yatseniouk, qui n’avait obtenu que 6,9% des voix à l’élection présidentielle de 2010, s’est d’ailleurs tout de suite précipité à Washington où Barack Obama l’a reçu dans le Bureau ovale, honneur généralement réservé aux chefs d’Etat. Sauf retournement imprévisible, les événements qui ont abouti à l’éviction brutale du chef de l’Etat ukrainien à la suite des manifestations de la Place Maïdan ne peuvent donc pas être considérés comme une bonne chose par tous ceux qui luttent contre l’hégémonie mondiale des Etats-Unis.
— 2 —
On parle partout d’un « retour à la guerre
froide ». Il faudrait plutôt se demander si elle a jamais pris
fin. A l’époque de l’Union soviétique, les Américains
développaient déjà une politique qui, sous couvert
d’anticommunisme, était fondamentalement antirusse. La fin du
système soviétique n’a rien changé aux données fondamentales de
la géopolitique. Elles les a, au contraire, rendues plus évidentes.
Depuis 1945, les Etats-Unis ont toujours cherché à empêcher
l’émergence d’une puissance concurrente dans le monde. L’Union
européenne étant réduite à l’impuissance et à la paralysie,
ils n’ont jamais cessé de voir dans la Russie une menace
potentielle pour leurs intérêts. Au moment de la réunification
allemande, ils s’étaient solennellement engagés à ne pas
chercher à étendre l’OTAN dans les pays de l’Est. Ils
mentaient. L’OTAN, qui aurait dû disparaître en même temps que
le Pacte de Varsovie, a non seulement été maintenu, mais il s’est
étendu à la Pologne, à la Slovaquie, à la Hongrie, à la
Roumanie, à la Bulgarie, à la Lituanie, à la Lettonie et à
l’Estonie, c’est-à-dire jusqu’aux frontières de la Russie.
L’objectif est toujours le même : affaiblir et encercler la
Russie en déstabilisant ou en prenant le contrôle de ses
voisins.
Toute l’action des Etats-Unis vise ainsi à empêcher la formation d’un grand « bloc continental » en persuadant les Européens que leurs intérêts sont contraires à ceux de la Russie, alors qu’ils sont en réalité parfaitement complémentaires. Telle est la raison pour laquelle l’ « intégrité territoriale » de l’Ukraine leur importe plus que l’intégrité historique de la Russie. « Revenir à la guerre froide », pour les Américains, c’est revenir aux conditions les plus propices à la mise en sujétion de l’Europe par Washington. Le projet de « grand marché transatlantique » actuellement en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis va également dans ce sens.
Toute l’action des Etats-Unis vise ainsi à empêcher la formation d’un grand « bloc continental » en persuadant les Européens que leurs intérêts sont contraires à ceux de la Russie, alors qu’ils sont en réalité parfaitement complémentaires. Telle est la raison pour laquelle l’ « intégrité territoriale » de l’Ukraine leur importe plus que l’intégrité historique de la Russie. « Revenir à la guerre froide », pour les Américains, c’est revenir aux conditions les plus propices à la mise en sujétion de l’Europe par Washington. Le projet de « grand marché transatlantique » actuellement en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis va également dans ce sens.
— 3 —
La
complication vient du caractère hétérogène de l’opposition à
Yanoukovitch. La presse occidentale a généralement présenté cette
opposition comme « pro-européenne », ce qui est un
mensonge évident. Parmi les opposants à l’ancien président
ukrainien, on trouve en réalité deux tendances totalement
opposées : d’un côté, ceux qui veulent effectivement se
lier étroitement à l’Occident et rêvent d’intégrer l’OTAN
sous parapluie américain ; de l’autre, ceux qui aspirent à
une « Ukraine ukrainienne » indépendante de Moscou comme
de Washington ou de Bruxelles. Le seul point commun de ces deux
tendances est leur allergie totale à la Russie. Les manifestations
de la Place Maïdan ont donc d’abord été des manifestations
antirusses, et c’est en tant que « président pro-russe »
que Yanoukovitch a été destitué.
Les nationalistes ukrainiens, regroupés dans des mouvements comme « Svoboda » ou « Secteur droite » (Pravy Sektory), sont régulièrement présentés dans la presse comme des extrémistes et des nostalgiques du nazisme. Comme je ne les connais pas, j’ignore si c’est vrai. Certains d’entre eux semblent bien être les tenants d’un ultra-nationalisme convulsif et haineux que j’exècre. Mais il n’est pas évident que tous les Ukrainiens désireux d’indépendance vis-à-vis de la Russie comme des Etats-Unis partagent les mêmes sentiments. Beaucoup d’entre eux ont lutté sur la Place Maïdan, sans avoir le sentiment d’être manipulés, avec un courage qui mérite le respect. Toute la question est de savoir s’ils ne seront pas dépossédés de leur victoire par une « révolution » dont l’effet principal aura été de remplacer le « grand frère russe » par le Big Brother américain.
Les nationalistes ukrainiens, regroupés dans des mouvements comme « Svoboda » ou « Secteur droite » (Pravy Sektory), sont régulièrement présentés dans la presse comme des extrémistes et des nostalgiques du nazisme. Comme je ne les connais pas, j’ignore si c’est vrai. Certains d’entre eux semblent bien être les tenants d’un ultra-nationalisme convulsif et haineux que j’exècre. Mais il n’est pas évident que tous les Ukrainiens désireux d’indépendance vis-à-vis de la Russie comme des Etats-Unis partagent les mêmes sentiments. Beaucoup d’entre eux ont lutté sur la Place Maïdan, sans avoir le sentiment d’être manipulés, avec un courage qui mérite le respect. Toute la question est de savoir s’ils ne seront pas dépossédés de leur victoire par une « révolution » dont l’effet principal aura été de remplacer le « grand frère russe » par le Big Brother américain.
— 4 —
En ce qui
concerne la Crimée, les choses sont à la fois plus claires et plus
simples. Depuis au moins quatre siècles, la Crimée est un
territoire russe peuplé essentiellement de populations russes. Elle
abrite aussi la flotte russe, Sébastopol constituant le point
d’accès de la Russie aux « mers chaudes ». S’imaginer
que Poutine pourrait tolérer que l’OTAN prenne le contrôle de
cette région est évidemment impensable. Mais il n’a pas eu besoin
d’agir en ce sens, puisque lors du référendum du 16 mars, près
de 97% des habitants de la Crimée ont exprimé sans équivoque leur
désir d’être rattachés à la Russie, ou plus exactement d’y
revenir, puisqu’ils en avaient été coupés arbitrairement en 1954
par une décision de l’Ukrainien Nikita Khrouchtchev. Cette
décision d’attribuer administrativement la Crimée à l’Ukraine
s’était faite à l’époque dans le cadre de l’Union soviétique
– elle était donc sans grandes conséquences – et sans aucune
consultation de la population concernée. L’ampleur du vote du 16
mars, doublée d’un taux de participation de 80%, ne laisse aucun
doute sur la volonté du peuple de Crimée.
Parler dans ces conditions d’un « Anschluss » de la Crimée, faire la comparaison avec les interventions de l’URSS en Hongrie (1956) ou en Tchécoslovaquie (1968), est donc tout simplement ridicule. Dénoncer ce référendum comme « illégal » l’est plus encore. La « révolution » du 21 février a en effet mis un terme à l’ordre constitutionnel ukrainien, puisqu’elle a substitué un pouvoir de fait à un président régulièrement élu, ce qui a entraîné la dissolution de la Cour constitutionnelle ukrainienne. C’est d’ailleurs pour cette raison que les dirigeants de la Crimée, estimant que les droits de cette région autonome n’étaient plus garantis, ont décidé d’organiser un référendum sur son avenir. On ne peut à la fois reconnaître un pouvoir né d’une rupture de l’ordre constitutionnel, qui libère tous les acteurs de la société de leurs contraintes constitutionnelles, et en même temps se référer à ce même ordre constitutionnel pour déclarer « illégal » le référendum en question. Vieil adage latin : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »).
En apportant dès le 21 février dernier leur appui à un nouveau gouvernement ukrainien directement issu d’un coup d’Etat, les Américains ont par ailleurs démontré que leur souci de « légalité » est tout relatif. En agressant la Serbie, en bombardant Belgrade, en soutenant en 2008 la sécession et l’indépendance du Kosovo, en déclarant la guerre à l’Irak, à l’Afghanistan ou à la Libye, ils ont aussi montré le peu de cas qu’ils font du droit international, comme d’un principe d’ « intangibilité des frontières » qu’ils n’invoquent que lorsque cela les arrange. Au demeurant, les Etats-Unis semblent avoir oublié que leur propre pays est né d’une sécession vis-à-vis de l’Angleterre… et que le rattachement de Hawaï aux Etats-Unis, en 1959, ne fut autorisé par aucun traité.
Les dirigeants européens et américains, qui s’arrogent la qualité de seuls représentants de la « communauté internationale », n’ont pas contesté le référendum qui, voici quelques années, a séparé l’île de Mayotte des Comores pour la rattacher à la France. Ils admettent qu’en septembre prochain les Ecossais pourront se prononcer par référendum sur une éventuelle indépendance de l’Ecosse. Pourquoi les habitants de la Crimée n’auraient-ils pas les mêmes droits que les Ecossais ? Les commentaires des dirigeants européens et américains sur le caractère « illégal et illégitime » du référendum de Crimée montrent seulement qu’ils n’ont rien compris à la nature de ce vote, et qu’ils refusent de reconnaître à la fois le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la souveraineté du peuple qui est le fondement de la démocratie.
Parler dans ces conditions d’un « Anschluss » de la Crimée, faire la comparaison avec les interventions de l’URSS en Hongrie (1956) ou en Tchécoslovaquie (1968), est donc tout simplement ridicule. Dénoncer ce référendum comme « illégal » l’est plus encore. La « révolution » du 21 février a en effet mis un terme à l’ordre constitutionnel ukrainien, puisqu’elle a substitué un pouvoir de fait à un président régulièrement élu, ce qui a entraîné la dissolution de la Cour constitutionnelle ukrainienne. C’est d’ailleurs pour cette raison que les dirigeants de la Crimée, estimant que les droits de cette région autonome n’étaient plus garantis, ont décidé d’organiser un référendum sur son avenir. On ne peut à la fois reconnaître un pouvoir né d’une rupture de l’ordre constitutionnel, qui libère tous les acteurs de la société de leurs contraintes constitutionnelles, et en même temps se référer à ce même ordre constitutionnel pour déclarer « illégal » le référendum en question. Vieil adage latin : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »).
En apportant dès le 21 février dernier leur appui à un nouveau gouvernement ukrainien directement issu d’un coup d’Etat, les Américains ont par ailleurs démontré que leur souci de « légalité » est tout relatif. En agressant la Serbie, en bombardant Belgrade, en soutenant en 2008 la sécession et l’indépendance du Kosovo, en déclarant la guerre à l’Irak, à l’Afghanistan ou à la Libye, ils ont aussi montré le peu de cas qu’ils font du droit international, comme d’un principe d’ « intangibilité des frontières » qu’ils n’invoquent que lorsque cela les arrange. Au demeurant, les Etats-Unis semblent avoir oublié que leur propre pays est né d’une sécession vis-à-vis de l’Angleterre… et que le rattachement de Hawaï aux Etats-Unis, en 1959, ne fut autorisé par aucun traité.
Les dirigeants européens et américains, qui s’arrogent la qualité de seuls représentants de la « communauté internationale », n’ont pas contesté le référendum qui, voici quelques années, a séparé l’île de Mayotte des Comores pour la rattacher à la France. Ils admettent qu’en septembre prochain les Ecossais pourront se prononcer par référendum sur une éventuelle indépendance de l’Ecosse. Pourquoi les habitants de la Crimée n’auraient-ils pas les mêmes droits que les Ecossais ? Les commentaires des dirigeants européens et américains sur le caractère « illégal et illégitime » du référendum de Crimée montrent seulement qu’ils n’ont rien compris à la nature de ce vote, et qu’ils refusent de reconnaître à la fois le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la souveraineté du peuple qui est le fondement de la démocratie.
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Quant aux menaces de « sanctions »
économiques et financières brandies par les Occidentaux contre la
Russie, elles prêtent à sourire, et Poutine n’a pas eu tort de
dire ouvertement combien elles l’indiffèrent. Poutine sait que
l’Union européenne n’a aucun pouvoir, aucune unité, aucune
volonté. A juste raison, il n’accorde aucun crédit à des pays
qui prétendent « défendre les droits de l’homme »
mais ne peuvent se passer de l’argent des oligarques. Comme disait
Bismarck : « La diplomatie sans les armes, c’est la
musique sans les instruments ». Poutine sait que l’Europe est
déliquescente, qu’elle n’est plus capable que de gesticulations
et de provocations verbales, et que les Etats-Unis eux-mêmes la
regardent comme quantité négligeable (« Fuck the European
Union ! », comme disait Victoria Nuland). Il sait
surtout que, s’ils voulaient vraiment « sanctionner »
la Russie, les Occidentaux se sanctionneraient eux-mêmes, car ils
s’exposeraient à des représailles de grande ampleur dont ils ne
sont visiblement pas prêts à payer le prix. C’est la vieille
histoire de l’arroseur arrosé.
Il suffit de rappeler ici que le gaz et le pétrole russes représentent environ le tiers de l’approvisionnement énergétique des 28 pays de l’Union européenne, pour ne rien dire de l’ampleur des investissements européens, notamment allemands et britanniques, en Russie. On ne compte aujourd’hui pas moins de 6000 sociétés allemandes actives sur le marché russe. En France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a menacé la Russie de ne pas lui livrer deux navires porte-hélicoptères de type « Mistral » actuellement en construction aux chantiers de Saint-Nazaire. Dans un pays où l’on compte déjà plus de cinq millions de chômeurs, la conséquence serait la perte de plusieurs milliers d’emplois… Quant aux Etats-Unis, s’ils cherchent à geler les actifs russes à l’étranger, ils s’exposent à voir en retour geler le remboursement des crédits que les banques américaines ont accordés à des structures russes.
L’Ukraine est aujourd’hui un pays ruiné. Elle aura le plus grand mal à se passer du soutien économique de la Russie et à remédier à la fermeture du marché de la CEI (la Russie représentait jusqu’à présent 20% de ses exportations et 30% de ses importations). On voit mal, par ailleurs, les Européens trouver les moyens de lui apporter une aide financière qu’ils ne veulent même plus accorder à la Grèce : compte tenu de la crise qu’elle traverse depuis 2008, l’Union européenne n’est tout simplement plus en mesure de débloquer des sommes de plusieurs milliards d’euros. En proie à leurs propres problèmes, à commencer par des déficits colossaux, les Etats-Unis voudront-ils soutenir l’Ukraine à bout de bras ? On peut en douter. Les chèques de Washington et du Fonds monétaire international (FMI) ne régleront pas les problèmes de l’Ukraine.
Il suffit de rappeler ici que le gaz et le pétrole russes représentent environ le tiers de l’approvisionnement énergétique des 28 pays de l’Union européenne, pour ne rien dire de l’ampleur des investissements européens, notamment allemands et britanniques, en Russie. On ne compte aujourd’hui pas moins de 6000 sociétés allemandes actives sur le marché russe. En France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a menacé la Russie de ne pas lui livrer deux navires porte-hélicoptères de type « Mistral » actuellement en construction aux chantiers de Saint-Nazaire. Dans un pays où l’on compte déjà plus de cinq millions de chômeurs, la conséquence serait la perte de plusieurs milliers d’emplois… Quant aux Etats-Unis, s’ils cherchent à geler les actifs russes à l’étranger, ils s’exposent à voir en retour geler le remboursement des crédits que les banques américaines ont accordés à des structures russes.
L’Ukraine est aujourd’hui un pays ruiné. Elle aura le plus grand mal à se passer du soutien économique de la Russie et à remédier à la fermeture du marché de la CEI (la Russie représentait jusqu’à présent 20% de ses exportations et 30% de ses importations). On voit mal, par ailleurs, les Européens trouver les moyens de lui apporter une aide financière qu’ils ne veulent même plus accorder à la Grèce : compte tenu de la crise qu’elle traverse depuis 2008, l’Union européenne n’est tout simplement plus en mesure de débloquer des sommes de plusieurs milliards d’euros. En proie à leurs propres problèmes, à commencer par des déficits colossaux, les Etats-Unis voudront-ils soutenir l’Ukraine à bout de bras ? On peut en douter. Les chèques de Washington et du Fonds monétaire international (FMI) ne régleront pas les problèmes de l’Ukraine.
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L’avenir reste pour l’heure
aussi incertain qu’inquiétant. L’affaire ukrainienne n’est pas
finie, ne serait-ce que parce qu’on ne sait pas encore qui
représente exactement le nouveau pouvoir ukrainien. Si l’Ukraine
choisit de s’ancrer résolument à l’Ouest, la grande question
est de savoir comment réagira la partie orientale de l’Ukraine,
qui est à la fois la plus pro-russe et la plus industrialisée (la
partie ouest ne représente que le tiers de la production du PIB).
Comment la Russie pourrait-elle, de son côté, accepter qu’un
gouvernement radicalement antirusse dirige un pays dont la moitié de
la population est russe ? Toute tentative d’imposer une
solution par la force risque d’aboutir à la guerre civile et en
fin de compte à la partition d’un pays où les grandes lignes de
partage politiques, linguistiques et religieuses recoupent largement
les lignes de partage territoriales. On verrait alors se
reproduire le scénario qui a conduit à l’éclatement de
l’ex-Yougoslavie.
Dans l’immédiat, le risque le plus grand est celui d’un pourrissement de la situation à Kiev, accompagné d’une série d’initiatives irresponsables (création de milices, etc.) et d’incidents isolés qui dégénéreraient en montée aux extrêmes. Ni l’Europe ni la Russie (qui va maintenant renforcer son alliance militaire avec la Chine) n’y ont intérêt. De l’autre côté de l’Atlantique, en revanche, les partisans de la guerre ne manquent pas.
Dans l’immédiat, le risque le plus grand est celui d’un pourrissement de la situation à Kiev, accompagné d’une série d’initiatives irresponsables (création de milices, etc.) et d’incidents isolés qui dégénéreraient en montée aux extrêmes. Ni l’Europe ni la Russie (qui va maintenant renforcer son alliance militaire avec la Chine) n’y ont intérêt. De l’autre côté de l’Atlantique, en revanche, les partisans de la guerre ne manquent pas.
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Le déchaînement des médias
occidentaux est révélateur de leur degré de soumission à
Washington. Poutine est régulièrement décrit comme un « nouveau
tsar », un « kagébiste », un « néo-soviétique »,
mais aussi un « fasciste » et un « rouge-brun »,
alors que ce n’est pas lui qui a déclenché la crise ukrainienne,
et qu’il a plutôt fait preuve dans cette affaire d’une
extraordinaire patience. La Russie est présentée, sinon comme une
« dictature », alors qu’elle n’a jamais connu un tel
degré de démocratie dans son histoire, du moins comme un régime
« insuffisamment libéral », c’est-à-dire pas assez
conforme aux exigences de la « société ouverte ». Mais,
comme l’a très bien vu Henry Kissinger, « diaboliser Poutine
n’est pas une politique, mais une manière de masquer une absence
de politique ».
Certes, comme je l’ai dit plus haut, il n’y a pas lieu de considérer Poutine comme un « sauveur » qui épargnerait aux Européens de prendre eux-mêmes en mains leur destin. L’Europe n’a pas pour vocation de constituer la branche occidentale d’un grand empire russe (l’idée d’empire n’est pas réductible à l’impérialisme). Elle a, en revanche, le devoir d’admettre la nécessité d’une alliance avec la Russie dans le grand projet collectif d’une logique continentale eurasiatique, ce qui est tout différent.
La Russie, de son côté, aurait tout intérêt à admettre le pluralisme d’identités de ses voisins de l’ « étranger proche ». La colère ukrainienne s’est nourrie d’une tendance russe à nier l’identité ukrainienne qui n’est pas imaginaire, même si elle a parfois été exagérée. On n’en serait sans doute pas arrivé là si la Russie avait traité l’Ukraine sur un pied d’égalité et de réciprocité. Dans une logique fédérale, les identités locales doivent être respectées tout autant que les droits des minorités. Les notions de décentralisation, d’autonomie et de régionalisme doivent entrer dans la culture politique russe, tout comme elles doivent entrer dans la culture politique ukrainienne, qui n’y est visiblement pas plus disposée (comme le montre l’incroyable décision du nouveau gouvernement ukrainien de dénier à la langue russe le statut de seconde langue officielle). La notion de zone d’influence a un sens, et ce sens doit être reconnu, mais les pays « satellites » doivent désormais céder la place à des pays partenaires et alliés. Comme l’a écrit le Croate Jure Vujic, le « projet géopolitique grand-européen eurasiste doit être avant tout un projet fédérateur, de coopération géopolitique, fondé sur le respect de tous les peuples européens et sur le principe de subsidiarité » (*).
Certes, comme je l’ai dit plus haut, il n’y a pas lieu de considérer Poutine comme un « sauveur » qui épargnerait aux Européens de prendre eux-mêmes en mains leur destin. L’Europe n’a pas pour vocation de constituer la branche occidentale d’un grand empire russe (l’idée d’empire n’est pas réductible à l’impérialisme). Elle a, en revanche, le devoir d’admettre la nécessité d’une alliance avec la Russie dans le grand projet collectif d’une logique continentale eurasiatique, ce qui est tout différent.
La Russie, de son côté, aurait tout intérêt à admettre le pluralisme d’identités de ses voisins de l’ « étranger proche ». La colère ukrainienne s’est nourrie d’une tendance russe à nier l’identité ukrainienne qui n’est pas imaginaire, même si elle a parfois été exagérée. On n’en serait sans doute pas arrivé là si la Russie avait traité l’Ukraine sur un pied d’égalité et de réciprocité. Dans une logique fédérale, les identités locales doivent être respectées tout autant que les droits des minorités. Les notions de décentralisation, d’autonomie et de régionalisme doivent entrer dans la culture politique russe, tout comme elles doivent entrer dans la culture politique ukrainienne, qui n’y est visiblement pas plus disposée (comme le montre l’incroyable décision du nouveau gouvernement ukrainien de dénier à la langue russe le statut de seconde langue officielle). La notion de zone d’influence a un sens, et ce sens doit être reconnu, mais les pays « satellites » doivent désormais céder la place à des pays partenaires et alliés. Comme l’a écrit le Croate Jure Vujic, le « projet géopolitique grand-européen eurasiste doit être avant tout un projet fédérateur, de coopération géopolitique, fondé sur le respect de tous les peuples européens et sur le principe de subsidiarité » (*).
Alain de
Benoist24/03/2014
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