«Ma mère a très peur que Poutine me tue, pour l'ensemble de mes déclarations dans la vraie vie et sur les réseaux sociaux. Et ce n'est pas une blague, c'est une personne intelligente», expliquait l'opposant dans une récente interview évoquée par le New York Times. Et lui?«Je suis inquiet, mais pas autant que ma mère», répondait-il.
Il y a une quinzaine de jours, il confiait, dans une interview à l'hebdomadaire Sobesednik, sa peur d'être assassiné. Dans la nuit du vendredi 27 au samedi 28 février, alors qu'il marchait dans le centre de Moscou, Boris Nemtsov a été abattu, quatre balles ayant été tirées dans son dos. Il est tombé à quelques mètres du Kremlin : tout un symbole pour celui qui fut de tous les combats face au pouvoir en place.
Ancien ministre de Boris Eltsine, l'homme de 55 ans avait incarné la génération des jeunes réformateurs des années 1990, avant de devenir un virulent critique du président Vladimir Poutine, qu'il comptait défier à nouveau dimanche en manifestant.
Plusieurs fois interpellé par les forces de l'ordre lors de rassemblements de protestation au pouvoir en place, il avait aussi subi des perquisitions et été mis sur écoute, sans jamais cesser de dénoncer la corruption de ce qu'il appelait le « système oligarchique » en vigueur au pays des tsars.
TRÈS PROCHE DE BORIS ELTSINE
Le teint toujours bronzé, les cheveux en brosse, l'air séducteur malgré de grands yeux noirs pochés de cernes, Boris Nemtsov, physicien de formation, avait commencé sa carrière peu avant l'effondrement de l'URSS. Il avait été élu en 1990 au Soviet suprême, le Parlement soviétique.
Après avoir été gouverneur de la région de Nijni-Novgorod, à 400 km à l'est de Moscou, il avait entamé une ascension fulgurante sous la présidence de Boris Eltsine. De mars 1997 à août 1998, il avait obtenu le poste de vice-premier ministre chargé du secteur énergétique et des monopoles, secteur très convoité, ce qui lui valait d'être régulièrement dénoncé par le Kremlin comme un homme politique lié aux oligarques qui ont profité de la vague de privatisations des années 1990.
Le premier président de la Russie démocratique, dont il était très proche, avait envisagé un temps d'en faire son dauphin, avant de lui préférer le chef du FSB (ex-KGB), Vladimir Poutine. Limogé en août 1998, Boris Nemtsov a basculé dans l'opposition lorsque son rival a pris les rênes du pays.
Aux législatives de 1999, l'opposant est élu à la Douma – chambre basse du Parlement – et rejoint le parti libéral SPS (l'Union des forces de droite), dont il dirige une fraction qui se distingue par ses critiques virulentes envers le gouvernement en place. Son opposition au pouvoir se fait de plus en plus tranchante après les élections législatives de 2007, qu'il dénonce comme « les plus malhonnêtes de l'histoire de la Russie ».
ASPERGÉ D'AMMONIAC
Un an plus tard, en 2008, après avoir échoué à se présenter à
l'élection présidentielle comme candidat unique d'une opposition
affaiblie par sa disparité, il décide de créer le mouvement
Solidarnost, sous l'égide de l'ex-champion d'échecs Garry Kasparov.Mais c'est surtout aux côtés d'Alexeï Navalny qu'il s'affichera comme figure de proue des manifestations qui ont secoué Moscou pendant l'hiver 2011-2012. Après la réélection de Vladimir Poutine au Kremlin en mai 2012, il a continué à dénoncer les dépenses jugées excessives du président et la corruption, notamment lors de la tenue des Jeux olympiques d'Hiver à Sotchi, sa ville natale, en 2014. Cinq ans plus tôt, alors candidat à la mairie de cette localité des bords de la mer Noire, il avait d'ailleurs été aspergé d'ammoniac par des inconnus dans la rue.
Plus récemment, Boris Nemtsov avait pris parti dans le conflit qui ravage depuis plus de dix mois l'Est de l'Ukraine. Organisateur de plusieurs marches pacifiques en soutien à Kiev, il avait récemment réaffirmé sur son compte Facebook, qu'à ses yeux, l'annexion de la Crimée était illégale. Selon Ksenia Sobtchak, autre figure de l'opposition, Boris Nemtsov travaillait à un rapport sur la présence de forces russes en Ukraine, que le Kremlin nie avec acharnement.
L'influence de ce vétéran de l'opposition, très présent sur les réseaux sociaux, semblait cependant diminuer au profit de la nouvelle génération incarnée par Alexeï Navalny, de 17 ans son benjamin.
C'est d'ailleurs avec lui qu'il avait appelé à la tenue dimanche 1er mars d'un vaste rassemblement pour dénoncer la mauvaise gestion par le Kremlin de la grave crise économique que traverse la Russie en raison des sanctions occidentales et de la chute des prix du pétrole. Après la mise sous écrou de son cadet, mi-février, il en avait repris le flambeau.
27/02/2015
A l'antenne d'une radio moscovite trois heures à peine avant sa mort, l'ancien ministre Boris Nemtsov, virulent critique du Kremlin, appelait les auditeurs à manifester dans un discours enflammé sur le dossier ukrainien et le président Vladimir Poutine.
A l'instar de Kiev et des Occidentaux, l'homme assure que Moscou a envoyé des troupes soutenir les séparatistes prorusses dans l'est du pays. Des allégations que le Kremlin a toujours démenties.
Lorsqu'une journaliste évoque la Crimée, péninsule ukrainienne rattachée à la Russie en mars après un référendum, et assure que la population souhaitait rejoindre le pays, l'opposant tranche d'un ton catégorique, résumant en deux mots toutes ses convictions : « La force de la loi ».
« La population voulait vivre en Russie, j'en conviens. Mais la question est ailleurs : il ne faut pas faire selon ses volontés, mais selon la loi et il faut respecter la communauté internationale. »
Extraits du Monde, 28/02/2015
Qui était Boris Nemtsov, l'opposant russe assassiné cette nuit? (Libération)
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