En douze ans, je me suis
fait un tas d'ennemis. C'est normal. La verticale du pouvoir a fait
profiter quelques personnes de l'argent du gaz et du pétrole. Les
porteurs de préservatifs qui manifestent n'ont aucune gratitude :
j'ai redressé le pays, et ils osent réclamer une "Russie sans
Poutine" !
Pas de faiblesse ! Comme
disait Staline, que j'ai cité à la télévision en 2004, avant de
serrer la vis en politique intérieure : "Les faibles, on les
frappe." J'ai fait passer le message à Bachar Al-Assad, en
Syrie : "Laisse entrer les observateurs de la Ligue arabe pour
relâcher la pression extérieure, mais reste intraitable avec les
agitateurs." Comme ça, on gagne du temps. Lui aussi est visé
par un complot étranger. Il est mon dernier allié dans le monde
arabe. Je ne le lâcherai qu'à la dernière minute. S'il le faut.
Les Iraniens aussi aident
Al-Assad à tenir. Ceux-là, je ne leur fais pas confiance. Des
Perses islamistes... Mais on a des intérêts communs contre les
Américains. La Russie a bien fait de soutenir Ahmadinejad en 2009,
quand il était confronté à un soulèvement de rue. On l'a aussitôt
accueilli pour un sommet, dans l'Oural, au côté du Chinois Hu
Jintao. On lui a dit de ne pas mégoter sur la méthode forte. Deux
ans plus tard, il tient toujours.
NE JAMAIS PARAÎTRE FAIBLE
J'ai horreur des foules que
l'on ne contrôle pas. Ça me rappelle de mauvais souvenirs. En 1990,
quelques mois après la chute du Mur, je m'étais retrouvé bloqué
comme un rat dans les locaux du KGB, à Dresde, où j'étais en
poste. Des milliers d'Est-Allemands massés sous nos fenêtres
menaçaient d'attaquer l'immeuble. Le "Centre" (Moscou) ne
répondait plus. Certains pensent que la chute de l'URSS m'a
traumatisé. Mais le premier choc a été cet épisode atroce,
l'impuissance face à une foule en colère. Plus jamais ça.
Plus que trois mois à tenir
jusqu'à la présidentielle. J'y arriverai. Le "printemps des
peuples", les "soulèvements Facebook", quelle blague
! Il ne faut rien lâcher. Ben Ali s'est enfui comme un lâche.
Moubarak s'est fait déposer sans résistance, et il se retrouve
encagé dans le box des accusés. Kadhafi s'est battu jusqu'au bout
contre l'OTAN, pour finir lynché par les forces spéciales
occidentales. Ah, elle est belle la morale occidentale et la
responsabilité de protéger ! Une foutaise pour gogos ! Et derrière
les gros intérêts des Occidentaux, toujours !
Les cris bêlants des
Américains sur les "sociétés civiles", je les connais
bien : c'est comme ça que la CIA a eu la peau de Slobodan Milosevic,
en 2000. Une insurrection de rue maquillant un coup d'Etat, après
des élections contestées. Milosevic s'est retrouvé au tribunal de
La Haye. Pendant toutes ces années, il avait galvanisé les Serbes
avec des guerres, en Bosnie, au Kosovo. Moi non plus, je n'ai pas
lésiné, en Tchétchénie. Mais celui qui me transférera à un
tribunal n'est pas près de naître !
Après avoir coffré
Milosevic, les Américains ont commencé à fomenter les "révolutions
de couleur", en Géorgie et en Ukraine. Toujours pour encercler
la Russie. A l'époque, je n'avais rien vu venir. Aujourd'hui, je
suis paré. J'ai gonflé le budget de la défense et des services.
La bonne nouvelle, c'est que
les Européens ne me critiquent pas trop, après le coup des
législatives du 4 décembre. Des mous et des faibles, et en plus
tendant la sébile, avec tous leurs problèmes de dette. La Russie
est le salut de l'Europe chrétienne face aux fous musulmans du Sud,
et avec la Chine dans notre dos. J'ai dit au gamin de faire miroiter
10 milliards d'euros d'aide financière aux Européens. L'idée me
plaît : la Russie, qui mendiait auprès du Fonds monétaire
international dans les années 1990, se portant au secours de la zone
euro ! On aura tout vu ! Quelle revanche !
Et, si Angela Merkel s'avise
de hausser le ton contre les arrestations en Russie, je téléphonerai
à Gerhard Schröder. Il arrangera ça. Il me le doit bien, avec sa
grosse rémunération de Gazprom. Le grand avantage de ma politique
du gaz, c'est qu'elle nous vaut des amitiés solides en Allemagne.
Les Américains veulent
faire de nous des vassaux. Je savais qu'il fallait se méfier de
Hillary Clinton. C'est elle qui a donné le signal des manifestations
en Russie. Elle ne vaut pas mieux que son mari, Bill, ce sournois qui
tapait dans le dos du "bon vieux Boris" (Eltsine) tout en
élargissant l'OTAN à nos portes.
Ma grande surprise, c'est
qu'Obama ne s'intéresse pas à l'Europe. En plus, il a besoin de moi
pour chercher un arrangement sur le nucléaire iranien. Et puis, pour
évacuer ses troupes et ses équipements d'Afghanistan, il dépend de
la route du Nord, par l'Asie centrale. La crise avec le Pakistan l'a
piégé.
JE VAIS TENIR
Les opposants russes vont se
fatiguer. Je vais profiter de la pause du Nouvel An. Ils n'ont ni
programme ni leader, à part ce blagueur de Navalny que les
Américains cultivent en sous-main. Il est d'ailleurs passé par une
de leurs universités. Il est dangereux pour moi, car il a la fibre
nationaliste. Comme en Serbie, les Américains calculent que le seul
recours politique solide, en Russie, viendra d'une trahison au sein
du camp nationaliste.
Ils n'ont pas tort. Ce n'est
pas la frange ridicule des soi-disant "démocrates" russes
qui pourra m'inquiéter ! Mais je n'aimerais pas qu'ils se mettent à
fouiller dans certains dossiers : toutes les liquidations d'opposants
depuis dix ans, comme cette illuminée de Politkovskaïa, le traître
Litvinenko, ou encore ce journaliste Tchikhotchikhine qui enquêtait
sur l'or du Parti. Et j'en passe. Le pire serait qu'avec l'aide de la
CIA l'opposition expose les réseaux qui m'ont permis de mettre un
bon pactole de côté. Mais cela, les singes n'auront pas le courage
d'en parler haut et fort ! J'ai tous les noms. Les Américains
pensent que mon soutien à Bachar Al-Assad va me coûter cher en
termes d'image. Ils se trompent. Ces choses lointaines, les Russes
s'en fichent.
En Russie, c'est en restant
le maître qu'on assure sa sécurité personnelle. Qui pourrait me
garantir une "sortie" en toute immunité, comme je l'ai
fait pour ce croulant d'Eltsine en 1999 ? Personne. Je vais tenir. Je
serai le président qui accueillera les Jeux olympiques de Sotchi en
2014. Tout le monde viendra. Comme aux JO de Pékin. Le peuple aime
son tsar. Qui peut en douter ?
Il s'agit bien sûr d'une fiction... mais ça aurait pu.
Natalie Nougayrède, 29/12/2011
How Ukraine can win
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