Sur Canal+, un documentaire diffuse la propagande du Kremlin contre l'Ukraine

C’est donc
Canal+ qui apporte cette fois son concours
la nébuleuse hétéroclite du poutinisme. Étonnant non ? Pas vraiment :
une partie de la gauche radicale, révoltée par les méfaits de la
mondialisation libérale, a sombré dans le conspirationnisme et est
devenue l’idiot utile de la revanche de Poutine et des nostalgiques de
l’empire sénile et mafieux qu’était l’URSS au moment de sa chute. Sous
prétexte d’humiliation et de menaces de la part de l’Occident, la Russie
de Poutine veut démembrer et vassaliser l’Europe. Tous les coups sont
permis : la diplomatie,
les réseaux d’influence, mais aussi la guerre, en Crimée et dans l’est
de l’Ukraine et, enfin, le grand mensonge. Non pas le mensonge politique
ordinaire, pitoyable et assez vite éventé, mais le mensonge
déconcertant, celui qui ne cherche pas seulement à vous tromper, mais à
vous noyer
dans le brouillard de l’incertitude, du « on ne saura jamais… » (par
exemple : qui a assassiné Boris Nemtsov, ou qui a abattu le MH17),
jusqu’à perdre
les repères du vrai et du faux. C’est dans cet énorme panneau qu’est
tombée une chaîne pourtant réputée pour son audace en matière
d’information.
Le film produit par CANAL utilise des procédés qui
ressemblent à ceux des négationnistes : ne tenir aucun compte des faits
et des documents qui contrediraient votre thèse, si nombreux soient-ils,
pour ne voir que ceux qui vous arrangent et par exemple, traquer
soigneusement le moindre facho en Ukraine — et il y en a en effet, une
minorité impuissante et divisée —, mais ignorer
que l’extrême droite radicale est prospère et influente d’abord à
Moscou (Jirinovski, Douguine, etc.) et partout où Poutine la
subventionne. Les pèlerins de Canal+ veulent tellement faire tomber des
masques qu’ils ne voient plus les vrais visages.
Deux exemples parmi bien d’autres : Alexei Albou n’est pas un
« militant communiste » d’Odessa, aujourd’hui « réfugié dans l’Est »,
mais un des dirigeants de BOROTBA, une scission radicale du PC
Ukrainien. Ce parti, comme beaucoup de rouges passés au rouge-brun,
collaborait alors sans état d’âme avec l’aile odessite de RODINA
(« Patrie »), un parti russe xénophobe, homophobe, antisémite, etc. Bref
ce Albou est un des nombreux satellites de la nébuleuse fasciste en
Russie, et nullement une figure de la gauche ukrainienne comme on veut
le faire croire à Canal+.
Pour décrédibiliser la diplomate américaine Victoria Nuland, « la dame aux petits pains » que l’on voit dans le film distribuer à manger
sur le Maidan, on la montre en difficulté lors d’une audition devant le
Congrès américain en 2014. Un représentant républicain, Dana
Rohrabacher cuisine Mme Nuland pour lui faire dire que l’extrême droite
jouait un rôle important et inquiétant dans le Maidan. M. Rohrabacher
fait partie des quelques membres du Congrès (23 !) qui ont voté contre
l’aide
à l’Ukraine au lendemain de la révolution, et soutiennent la Russie.
Jadis proche de Reagan, il n’est plus un faucon. Il justifie l’annexion
de la Crimée en la comparant à la Guerre d’indépendance américaine. Il
déclarait au New York Times en 2014, « il y a eu des
réformes considérables en Russie (…), les églises sont pleines.
L’opposition distribue librement des tracts à tous les coins de rue, les
gens peuvent manifester. Cette Russie n’a plus rien à voir avec l’époque communiste ».
Certes, l’isolationnisme conservateur, qui veut à la fois que les
États-Unis ne s’engagent nulle part et s’allient avec le Diable s’il le
faut pour combattre
Daesh est une position répandue. Elle n’en est pas de gauche ni
honorable pour autant, et M. Rohrabacher en est un porte-parole
particulièrement zélé, lui qui a multiplié les déclarations et les votes
pro Poutine et anti ukrainiens dès le lendemain de la fuite de Viktor
Ianoukovitch vers la Russie.
L’Amérique, coupable de tout. CIA
partout, FSB nulle part, tel semble être le credo des auteurs de ce
film. Le problème n’est pas de penser du mal de l’Amérique — elle le
mérite souvent depuis 2001 —, c’est de penser que l’Amérique est LE Mal.
Aveuglément qui permet d’absoudre tous les autres protagonistes : En
Crimée, les habitants ont voté librement l’annexion. Faux : le
référendum s’est déroulé sous la Terreur et Poutine a reconnu un an
après que l’armée russe était intervenue. À suivre
les auteurs du film, il n’y aurait plus en Ukraine que d’affreux
politiciens « pro business » (quelle horreur !) et une extrême droite armée qui les tient en son pouvoir.
Faux : l’extrême droite est électoralement et politiquement résiduelle
depuis Maidan. C’est sous Ianoukovitch que le parti Svoboda était la
première force d’opposition. Depuis, son plus haut fait d’arme est la
manifestation violente du 31 août à Kiev, qui a fait hélas trois morts,
mais n’a eu aucun impact politique.
Voir les « milices » partout, c’est mélanger
tout : 1) les militants armés du Maidan, dont certains venaient de
l’extrême droite, mais qui étaient d’horizons très variés — dont des
vétérans de Tsahal d’origine ukrainienne ! ; 2) les volontaires qui se
battent à l’est aux côtés de l’armée ukrainienne contre les séparatistes
et l’armée russe ; 3) les milices d’extrême droite. Or, ces trois
groupes n’ont rien à voir, ni par la période, ni par le nombre, ni par
les motivations. Et s’il y a beaucoup d’armes aujourd’hui en Ukraine, ce
n’est pas du fait des « milices », c’est parce que l’Ukraine est en
guerre depuis que la Russie l’a attaquée en février 2014.
Ce conflit n’a rien d’une guerre civile entre russophones et
ukrainophones, comme le prétendent Poutine et ses relais, sans quoi la
guerre se serait étendue à tout « l’immense est et sud-est peuplés de
Russes », pour parler
comme le film, alors qu’elle est confinée à la Crimée et à un réduit
qui ne couvre même pas la totalité du Donbass et ne touche pas les
capitales de l’Ukraine russophone, Kharkiv et Dniepropetrovsk, sauf dans
les rêves du Kremlin.
Le meilleur moyen de ne pas se confronter à
ces faits gênants, c’est en effet de fabriquer un monde onirique où le
réel ne figure que par intermittence. C’est hélas ce qu’a fait Canal+.
Les signataires de ce texte sont : Galia Ackerman, écrivain et journaliste, Michel Eltchaninoff, philosophe, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, Philippe de Lara, politiste, maître de conférences à l’université Paris 2, Alla Lazareva, journaliste, et Philippe de Suremain, ancien ambassadeur.
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Ukraine : «les masques de la révolution» ou la manipulation au montage
Par Anna Jaillard Chesanovska, journaliste, traductrice ukrainienne
J’ai été contactée par la société de production de Paul Moreira en septembre 2015. L’équipe venait d’achever son tournage sur l’extrême droite en Ukraine et cherchait un traducteur. Le rôle de ces mouvements, dans l’Ukraine actuelle, a toujours été le sujet de spéculations des plus improbables, surtout de la part de ceux qui soutiennent la politique expansionniste de Vladimir Poutine. Un vrai débat sur le sujet s’avère donc nécessaire, afin de dissiper tous les mythes. Considérant Canal +, comme une chaine impartiale, j’ai accepté. Mal m’en a pris.
Arrivée dans les locaux de la production, on m’a informée que je ne venais qu’en renfort et que plus de la moitié du film avait déjà été traduite par une certaine Iryna. Je me suis donc concentrée sur ce qui restait, une session du Parlement ukrainien et les interviews d’Ihor Mossiychouk, député du Parti Radical, ainsi que d’Andriy Biletsky, le fondateur du bataillon Azov. Les images brutes, sans montage ni voix off, offraient une vision plutôt objective des protagonistes et de la situation en Ukraine. Rien ne laissait présager que j’étais en train de participer à l’élaboration d’un film de propagande. D’où ma surprise à la découverte du «documentaire» lundi soir.
Le montage des interviews, découpées afin de «coller» à l’image que l’auteur a voulu donner de l’Ukraine, dénaturait complétement les propos initiaux des protagonistes. Il devenait du coup difficile d’y reconnaitre la version originale des entretiens, ainsi que de retrouver le vrai sens des propos (bien plus nuancés) des interviewés. Grâce à un habile tour de passe-passe, à coup de découpage des phrases, de musique tragique et d’images de violences, les deux hommes dont j’avais traduit les interviews en intégralité, prenaient des airs d’êtres sauvages, obsédés par des idées nationalistes bêtes et méchantes.
Les premières images du député Ihor Mossiychouk offrent aux spectateurs les réflexions de celui-ci sur ceux qu’il considère être des «vrais» Ukrainiens. Le reportage laisse croire qu’Ihor Mossiychouk aborde la question de but en blanc (ce serait normal pour un nationaliste obsédé). Ce qui n’est pas montré, en revanche, c’est l’entêtement de Monsieur Moreira pour obtenir une réponse à cette question très précise.
Et quand Mossiychouk tente d’y répondre, sa phrase se retrouve coupée, puisque de toute évidence, la réponse complète ne convient pas au journaliste. «Pour moi, la notion de «nation» et donc «d’Ukrainien», c’est un lien de sang et d’esprit entre les morts, les vivant et ceux qui ne sont pas encore nés», dit-il dans le film. Un bout de réponse qui suffit amplement à Paul Moreira qui jette joyeusement à la poubelle la suite des propos du député où il précise qu’il n’est pas nécessaire de naitre en Ukraine ou d’avoir le «sang ukrainien» pour être un vrai Ukrainien.
Nous observons le même genre de manipulation dans une séquence montrant des vidéos postées par le député sur YouTube et où on le voit frapper un journaliste, crier sur un juge ou encore agresser verbalement un fonctionnaire corrompu. «Sur YouTube on trouve des vidéos de vous-même. Pourquoi vous faites ça ?», demande la voix de Paul Moreira. Le téléspectateur, ne peut pas savoir que la question du journaliste fait en réalité référence à l’ensemble des vidéos de Mossiychouk et pas uniquement à celles montrant des violences. Il peut donc trouver la réponse de ce dernier arrogante et plus qu’incompréhensible : «Ça a commencé il y a un an quand Oleh Lyachko et moi-même faisions tout pour défendre notre pays», bredouille Mossiychouk.
Ce que le téléspectateur n’entendra jamais, puisque la réponse a été coupée, ce sont les explications du député. Il tente de faire entendre que dans un pays qui se bat contre la corruption et la justice arbitraire, la population, ne fait plus confiance aux paroles des hommes politiques. Elle réclame des preuves directes, par l’image. Et ces mêmes images peuvent également servir de preuve en cas de procédure judiciaire. Cela justifie-t-il certaines des actions de Monsieur Mossiychouk? Non. Est-ce que cela porte un coup sur la crédibilité et l’objectivité du reportage? Certainement !
L’interview d’Andriy Biletsky, le deuxième protagoniste dont j’ai eu à traduire les propos, a été également estropiée au montage. De l’entretien qui avait duré près d’une heure, le journaliste n’a gardé qu’une seule question qui l’obsédait : sur la présence de néo-nazis au sein du bataillon. «Nous sommes un bataillon composé de 60% de nationalistes», dit Biletsky à Paul Moreira. Ravi de ce début de réponse, il s’en contente. Or la réponse, utilisée ainsi, fait l’amalgame entre le sentiment national provoqué par un état de guerre entre la Russie et l’Ukraine et les idées du national-socialisme. Paul Moreira coupe le reste. C’est ainsi que les explications du fondateur d’Azov sur la diversité ethnique, linguistique et politique des membres du bataillon, partent à la poubelle.
Ces exemples ne font référence qu’à quelques minutes du reportage, laissant deviner le sort subi par le reste des images filmées par l’équipe de Monsieur Moreira. Il est évident que la pratique du montage/découpage fait partie intégrante de tout travail journalistique. C’est une nécessité. Chaque journaliste est en droit de choisir les séquences à garder et à jeter. Cependant, lorsque cette technique est utilisée afin de faire correspondre l’image à une idée toute faite, cela porte un nom bien précis : la manipulation consciente et volontaire de l’opinion publique.
Le reportage de Paul Moreira comporte bien d’autres erreurs, mensonges et lacunes, qu’ont déjà relevés de nombreux spécialistes de l’Ukraine, pointant du doigt le caractère calomnieux et manipulateur du «documentaire». Par cet article, j’ai tenu à m’exprimer en tant que traductrice — la personne qui a vu des images brutes puis le résultat final, qui dénature gravement le sens des propos des personnes interviewées, ainsi que la réalité du terrain.
De nombreuses autres questions subsistent, notamment celle de la traductrice mystérieuse qui a effectué 90% du travail, mais dont le nom n’a pas été mentionné dans le générique du film, contrairement au mien. Je suis présentée comme la seule traductrice de ce « documentaire ». Il est plus qu’étrange d’attribuer les mérites de l’intégralité du travail à une personne qui n’a effectué qu’une partie minime de celui-ci. A moins que son nom, connu pour son engagement pour une Ukraine libre et démocratique, apporte plus de crédibilité à un travail malhonnête, en le cautionnant en quelque sorte.
D’où me venait cette légère impression de m’être faite avoir ? C’est par cette phrase que Paul Moreira ouvre son film. En effet, c’est une très bonne question que je ne cesse de me poser.
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L'article du Nouvel Observateur : Lettre ouverte à Paul Moreira après "Ukraine, les masques de la révolution"
Le documentaire diffusé lundi soir dans Spécial Investigation sur Canal+, suscite de nombreuses réactions. 18 journalistes, tous connaisseurs du dossier pour avoir travaillé sur place, adressent une lettre ouverte au réalisateur.
Nous sommes des reporters travaillant régulièrement en Ukraine. Certains sont correspondants permanents à Kiev et dans la région, d’autres sont des envoyés spéciaux très réguliers. Par écrit, radio, télévision et photo, nous avons tous couvert sur le terrain la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée et la guerre du Donbass.Nous cumulons des dizaines de paires d’yeux, d’oreilles, de carnets, de stylos, de caméras et de boîtiers photos. Nous sommes russophones pour une grande partie, russophiles et ukrainophiles sans distinction, et journalistes avant tout.
Lundi 1er février, nous avons été choqués par le documentaire de Paul Moreira "Ukraine - Les Masques de la Révolution", diffusé par Canal+, sur Spécial Investigation. Non pas par la thèse défendue par le film. Nous décrivons et analysons l’extrême-droite en Ukraine de longue date. Nous démontrons dans nos travaux que la guerre l’a rendue plus virulente, lourdement armée, et qu’elle constitue un danger pour l’avenir du pays.
Non. Ce qui nous a mis profondément mal à l’aise dans ce film, c’est l’absence de mise en perspective d’une question complexe, inscrite dans les profondeurs de la relation russo-ukrainienne. La confusion qui s’ensuit est entretenue par une série d’erreurs factuelles, des informations non recoupées, mais aussi des raccourcis et des manipulations de montage.
Comment passer sous silence l’utilisation d’images YouTube non datées de marches aux flambeaux néo-nazies, ultérieures à Maïdan, insérées dans le montage de façon à les faire passer pour un épisode de la révolution ? Ou bien les approximations sur les affiliations partisanes de personnages-clé de la démonstration ?
Nous déplorons, entre autres, un traitement extrêmement grossier de la question linguistique en Ukraine. Elle peut certes s’avérer délicate en certaines occasions. Mais le pays n’en est pas moins l’un des plus bilingues d’Europe. Par manque de connaissances de ce pays, Paul Moreira commet un raccourci dramatique lorsqu’il qualifie de "Russes" ou d’"Ukrainiens d’origine russe" les habitants d’un pays où, en 2016, l’identité ne se définit certainement pas selon le seul facteur ethno-linguistique.
L’opposition entre ukrainophone et russophone tient-elle la route, quand de nombreux représentants des mouvements nationalistes ukrainiens répondent aux questions de Paul Moreira dans la langue de Pouchkine? La plupart des Ukrainiens manient indifféremment les langues ukrainienne et russe. Et, depuis 2004, le clivage est/ouest du pays n’est plus une grille de lecture complètement opérante. Nous sommes inquiets de constater que Paul Moreira reproduit un phénomène qu’il prétend dénoncer dans un entretien publié dans l’Humanité: écrire une histoire "en noir et blanc".
Ainsi, nous sommes atterrés de la présentation binaire de l’annexion de la Crimée. "Après la révolution, la population [de la Crimée] a massivement voté par référendum son allégeance à la Russie", se contente d’affirmer Paul Moreira. Tout en éludant soigneusement le contexte particulier dans lequel s’est tenu le vote, à savoir le déploiement méthodique des forces militaires russes sur la péninsule. Pour ne citer que cet élément.
Le grand tour de passe-passe de ce film est de faire de groupes extrémistes paramilitaires le vecteur principal de la révolution ukrainienne. Ils ont été le bras armé d’une mobilisation populaire qui avait sa propre justification citoyenne. Ils se sont renforcés et développés a posteriori, en réaction à l’invasion de la Crimée par la Russie, et à l’apparition de phénomènes séparatistes dans l’est du pays.
La guerre du Donbass, guerre hybride qui a fait près de 10.000 morts depuis avril 2014, explique la quasi-totalité des phénomènes décrits par Paul Moreira. Et pourtant, elle est évacuée comme un fait secondaire au milieu du film. L’éluder est une faute majeure. Les bataillons volontaires ukrainiens, extrêmement diversifiés sociologiquement, sont composés pour partie d’une composante nationaliste radicale. Ce n’est plus un secret pour personne. Hétérogènes, complexes à analyser, ces formations sont le miroir d’une société ukrainienne confrontée à la guerre.
Ils inquiètent par le manque de contrôle de l’Etat-major militaire sur eux. Ce problème a été soulevé par plusieurs rapports d’ONG internationales, et de nombreux reportages dans la presse française. Bien qu’il prétende s’intéresser à ces bataillons, le film de Paul Moreira n’aborde jamais les efforts du gouvernement ukrainien vis-à-vis des bataillons de volontaires, qui ont presque tous été désarmés ou intégrés aux forces étatiques au cours de l’année 2015.
Contrairement à ce qu’affirme haut et fort Paul Moreira, nous avons en permanence traité de cette question dans notre couverture des événements en Ukraine. Nous considérons qu’il s’agit d’un phénomène qui n’est pas saisi à bras le corps, voire instrumentalisé par les autorités ukrainiennes. Mais par l’épreuve des faits, nous rejetons vivement la théorie d’un renversement du pouvoir en février 2014 par des groupes paramilitaires d’extrême-droite.
Un passage de ce film peut-être, sans doute le plus important, aurait pu nous réconcilier : celui consacré à la journée terrible du 2 mai 2014 à Odessa, lorsque des affrontements sanglants entre manifestants pro-ukrainiens et manifestants pro-russes ont abouti à la mort atroce, dans un incendie, de 42 victimes, principalement pro-russes. Près de deux ans après, la justice ukrainienne n’a pas fait la lumière sur la tragédie d’Odessa. Contrairement à ce que la narration de Paul Moreira peut laisser croire, ce drame n’est pas le seul de ces deux dernières années qui reste non-élucidé.
Mais ce que la thèse à charge de M. Moreira, défendue depuis le premier jour de son tournage, l’empêche de voir, c’est que contrairement à ce qu’il avance, tous ces événements ont été reportés, étudiés, documentés, par les médias français et le reste de la presse internationale. Depuis deux ans, nous étudions les transformations d’un pays majeur et méconnu en Europe. Nous devons faire face, dans le même temps, à la couverture d’une guerre ouverte entre deux pays.
Beaucoup d’entre nous sont des téléspectateurs de la première heure des documentaires de Paul Moreira, qui ont parfois forgé notre vocation. Nous saluons confraternellement le travail le plus souvent sérieux et nécessaire de la société de production Premières Lignes. C’est pourquoi il nous a tant surpris et peiné de le voir céder, sur le dossier ukrainien, à une si dangereuse paresse intellectuelle.
Signatures :
Ksenia Bolchakova, Yves Bourdillon, Gulliver Cragg, Marc Crepin, Régis Genté, Laurent Geslin, Sébastien Gobert, Paul Gogo, Emmanuel Grynszpan, Capucine Granier-Deferre, Alain Guillemoles, James Keogh, Céline Lussato, Elise Menand, Stéphane Siohan, Olivier Tallès, Elena Volochine, Rafael Yaghobzadeh.
NDLR : Attaqué à plusieurs reprises sur son documentaire, Paul Moreira a répondu à certaines critiques sur son site "Premières lignes".
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Paul Moreira accusé de plagiat
Avant même sa sortie officielle sur le petit écran, le documentaire de Paul Moreira "Ukraine : les masques de la Révolution", avait fait couler beaucoup d'encre en soulevant la question de l'impartialité de l'auteur mais surtout de la déontologie journalistique. Erreurs factuelles, raccourcis inacceptables et manipulations au montage ont été décriés par de nombreux journalistes ainsi que par des spécialistes de la question ukrainienne. Accusé de reprendre les ficelles de la propagande de Moscou, Paul Moreira persiste à défendre sa vision erronée et caricaturale d'un pays bien plus complexe qu'il n'y parait.
HuffingtonPost
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Réponse à la réponse de Paul Moreira
1
févr. 2016
Blog : Blog
de Anna Colin Lebedev
Nous le remercions pour sa réponse qui se place sur le terrain constructif de la discussion sur les faits et les sources, plutôt que sur celui, stérile, de la dénonciation. Nous sommes prêtes à passer sur l’oubli de l’une des coauteures dans son commentaire ; nous sommes même prêtes à passer sur la qualification de « blog militant », destinée à discréditer, au nom de sa soi-disant politisation excessive notre argumentaire en faisant l’impasse sur un travail de recherche de plusieurs années sur le terrain ukrainien. Notre réponse aura donc la lourdeur d’un texte universitaire, mais c’est le prix à payer pour ne pas s’en tenir à des analyses taillées à coup de hache.
Si Paul Moreira éprouve tant de difficultés à répondre à nos critiques, c’est bien en raison de sa méconnaissance de l’Ukraine, au-delà des clichés. Nous répondrons en donnant quelques éléments d’éclairage sur le drame d’Odessa, la question ethnique et linguistique dans le conflit, les bataillons armés et la menace qu’ils représentent pour l’Etat ukrainien.
Le drame d’Odessa était-il un massacre de Russes d’Ukraine par des milices nationalistes ?
Alors que l’enquête est inachevée, le journaliste nous en donne déjà le verdict au terme de son investigation. « 45 Ukrainiens d’origine russe sont morts dans l’incendie d’un bâtiment provoqué par les cocktails Molotov de milices nationalistes ukrainiennes ».
Non, ce ne sont pas des « Ukrainiens d’origine russe », des « Russes d’Ukraine » ou des « russophones » qui ont été les victimes de la tragédie d’Odessa (qu’on ne qualifie effectivement pas de massacre, car seule l’enquête pourra juger de l’intentionnalité meurtrière). Odessa est une ville plutôt russophone, avec une population mélangée depuis des siècles et un fort sentiment de spécificité, irréductible à l’allégeance à l’Ukraine ou à la Russie. L’affrontement de 2014 consécutif au Maïdan kiévien a opposé des partisans de la révolution (majoritairement russophones) et ses adversaires (majoritairement russophones). Les victimes auraient été des Russes, clame Moreira dans sa réponse, et c’est ce qui expliquerait l’omerta dont l’enquête ferait l’objet. Pour lui répondre, laissons une fois de plus la parole à Tatiana Guerassimova, dirigeante du « Groupe du 2 mai », ONG odessite qui milite pour une enquête indépendante sur le drame et dont les membres sont des journalistes présents sur les lieux au moment du drame, des intellectuels, des universitaires et mêmes des anciens de la police scientifique. Interrogée par Ioulia Shukan, elle répond : « C’est une drôle de manière de poser la question. En Ukraine, l’appartenance ethnique n’apparaît pas dans les papiers d’identité et nous ne savons pas à quel groupe ethnique appartenaient les victimes. Nous n’avons pas et n’avions pas de conflit ethnique et des personnes très différentes étaient présentes dans la Maison des syndicats [où les victimes ont péri]. Par exemple, Anatoli Kalin [l’une des victimes] était un adepte fervent des chemises brodées ukrainiennes et sa femme joue de la bandura [instrument traditionnel ukrainien] dans un groupe de musique. Alors que Igor Ivanov, l’un des [ultranationalistes de] Pravy Sektor n’est pas Ukrainien ».
Paul Moreira persiste aussi à ignorer les conclusions de deux enquêtes dont le sérieux ne fait guère de doute. Il s’agit tout d’abord de l’enquête du « groupe du 2 mai » mentionné plus haut et qui a réalisé de nombreuses expertises à la Maison des syndicats, conduit des heures d’entretiens avec des représentants des deux côtés, des témoins, des familles de victimes, collecté et analysé des centaines de vidéos professionnelles et d’amateurs. La seconde enquête est celle du Conseil de l’Europe qui s’appuie, elle aussi, sur des matériaux réunis sur place.
Les deux enquêtes restituent avec finesse le contexte qui précède l’incendie, en pointant l’usage des armes à feu, dès les débuts des affrontements, par les deux camps. Elles soulignent que ce sont bien les tirs de l’un des membres des groupes armés pro-russes — Vitaliï Boudko alias Botsman— qui ont fait les premiers morts dans les rangs des pro-Ukrainiens, Igor Ivanov, évoqué précédemment, et Andreï Biroukov. Du côté des pro-Russes, trois personnes sont tombées dans ces affrontements de rue.
Les deux enquêtes mettent en exergue l’inaction des responsables policiers qu’il s’agisse des hauts gradés qui ont refusé de mettre en œuvre un plan anti-émeute pour séparer les parties en présence, ou des agents de police déployés sur le terrain qui ne sont pas intervenus pas et ont laissé faire. Elles mettent également en évidence l’inaction des services de pompiers dont le standard a enregistré les alertes téléphoniques au sujet des incendies à la Maison des syndicats sans cependant y donner suite.
Les deux enquêtes sont enfin très explicites sur la qualification de l’incendie : il s’agit d’un accident dont les responsabilités sont partagées. À la page 13 du rapport du Conseil de l’Europe, on peut ainsi lire que « l’expertise médico-légale a établi cinq foyers de feu répartis entre le hall, dans les escaliers de gauche et de droite entre le rez-de-chaussée et le 1er étage, dans une pièce du 1er étage, ainsi que sur le palier entre le deuxième et le troisième étage. À l’exception du foyer dans le hall, les départs de feu dans d’autres endroits ne pouvaient résulter que des activités de personnes réfugiées à l’intérieur du bâtiment. L’expertise ne permet pas d’affirmer que ces départs de feu aient été causés de manière intentionnelle. Les portes fermées et l’effet d’aspiration dans la cage d’escalier ont contribué à une rapide propagation du feu à des étages supérieurs et surtout à l'augmentation extrême des températures à l’intérieur du bâtiment ». Au final, 42 personnes — et non 45 comme Paul Moreira s’entête à l’affirmer — ont péri à cause de l’incendie. 34 ont été asphyxiées à l’intérieur du bâtiment et 8 sont mortes des suites de leur chute alors qu’elles cherchaient à échapper aux flammes.
Le drame d’Odessa n’a sans doute pas reçu l’attention médiatique qu’il méritait. Les 43 morts de la Maison des syndicats sont sortis pendant longtemps du viseur médiatique, ajoutés à la longue liste des quelques 9000 victimes de ce conflit armé. Si les victimes d’Odessa auront toutes un nom et une histoire, des milliers de civils tués dans le conflit n’auront jamais ce privilège.
Un affrontement ethnique et linguistique ?
Le conflit ayant conduit au drame n’était pas ethnique ou linguistique mais politique, ce que ce blog a souligné à plusieurs reprises dès 2014. « Pour comprendre le conflit, il faut savoir une chose, explique le film. En Ukraine, il n’y a pas que des Ukrainiens, il y une énorme population russe. » Non, contrairement à ce qu'affirme d'une manière abrupte Paul Moreira, cela ne nous aide pas à comprendre le conflit. Si la société ukrainienne est effectivement diverse dans sa composition ethnique et ses préférences linguistiques, aucun signe de sécessionnisme ou de conflits interethnique n’était perceptible avant l’instrumentalisation par le pouvoir russe de l’argument du « soutien aux populations russes » pour justifier son intervention et dresser le Donbass contre Kiev. La confusion entre Russes et russophones est soigneusement entretenue par Moscou et le film se laisse facilement prendre à ce piège.
La question linguistique a effectivement été utilisée dans le conflit, ainsi que Paul Moreira le souligne justement dans sa réponse. Oui, le vote par le parlement ukrainien du retrait au russe et à toutes les autres langues minoritaires de leur statut de langues régionales (pouvant être utilisées par les instances étatiques en parallèle de l’ukrainien) a été interprété par les populations de l’Est du pays comme une attaque contre eux. La loi n’a jamais été promulguée par le président, mais le mal était fait. La réputation d’anti-russophones a collé au pouvoir issu du Maïdan… une révolution en grande partie russophone et un gouvernement comptant plusieurs ministres ne parlant pas ukrainien. « A l’Est du pays, une grande partie de la population ne parle que le russe », dit le film. C’est faux : les enquêtes comme celles du Centre Razumkov et les travaux de chercheurs montrent que l’Ukraine est un pays bilingue, où plus de 90% de la population comprend les deux langues, mais où la majorité a une langue de préférence. De plus, le clivage n’est pas seulement régional mais bien plus complexe : les campagnes de l’Est sont souvent plus ukrainophones que les villes ; les jeunes souvent beaucoup plus ukrainophones que leurs aînés. Depuis le dernier billet de ce blog sur la question, la situation n’a pas beaucoup changé.
Les groupes armés pro-ukrainiens : de quoi parlons-nous ?
Paul Moreira se dit, dans sa réponse, préoccupé du devenir des groupes armés ultranationalistes après la fin du Maïdan. Comme nous l’affirmions dans notre premier billet, c’est une question fondamentale et un objet d’investigation majeur pour les chercheurs comme pour les médias. Cependant, cette question ne peut être analysée en dehors du contexte du conflit armé qui a donné naissance aux bataillons et donné une légitimité nouvelle à des discours patriotiques et à tous leurs avatars.
En effet, l’Ukraine que Paul Moreira a découverte avec le Maïdan a profondément changé au cours de ces deux dernières années. Une société qui n’a pas connu de conflit armé sur son territoire depuis la fin de la deuxième guerre mondiale s’est retrouvée agressée sur son territoire par la Russie, puis plongée dans un conflit dans lequel le Kremlin a nourri les peurs, puis encouragé, armé et dirigé une insurrection armée à l’Est. Aucune étude sérieuse ne conteste aujourd’hui le poids déterminant du pouvoir russe dans l’insurrection et la guerre du Donbass. L’Ukraine n’est pas devenue russophobe pour autant, contrairement à ce que prétendent les analyses simplistes ; elle est en revanche clairement kremlinophobe.
Des groupes armés issus du Maïdan ou des mouvements pro-révolutionnaires locaux ont commencé à s’organiser un peu partout dans le pays pour empêcher la propagation des insurrections anti-Kiev nourries par la Russie. A l’automne 2014, on comptait déjà une grosse trentaine de bataillons volontaires, composés d’hommes et de femmes de toutes les régions, de toutes les origines et de toutes les obédiences politiques. Azov et Pravy Sektor étaient de ces batillons ; Svoboda ne s’est par contre jamais rattaché à un bataillon spécifique, mais il semble que beaucoup de ses membres aient rejoint les bataillon Kyiv-2 ou Sych dont l’un des membres a lancé une grenade sur le parvis du Parlement fin août 2015. La relation à l’idéologie dans ces bataillons mériterait une étude spécifique : tous les observateurs pointent ainsi une très grande diversité des appartenances politiques et des opinions au sein d’un même bataillon. Ainsi, témoigne Stéphane Siohan au cours d'une enquête auprès du bataillon Aidar en février 2015, un antisémite virulent et un Juif étudiant la Torah le soir se sont ainsi retrouvés voisins de chambrée sur le front; des situations comparables pouvaient être observées dans d’autres bataillons. Cette insensibilité idéologique ne peut être comprise que dans le contexte de la révolution et de la guerre où ces préférences idéologiques ont pu être reléguées au second plan dès lors qu’il s’agissait de faire face à un ennemi commun. De fait, ce sont les bataillons volontaires, équipés et nourris par les bénévoles et les milieux d’affaires, qui ont remplacé l’armée officielle dans les premiers mois de la guerre. Oui, « ils ont abandonné bâtons et boucliers en bois et manipulent maintenant de vrais fusils ». Encore faut-il expliquer pourquoi. Paul Moreira dit bien dans le documentaire que si les bataillons ont acquis cette importance, c’est du fait de la faiblesse et de la désorganisation de l’armée ukrainienne, mais il ne s’attarde pas sur le contexte spécifique de la guerre et ses conséquences. Si les bataillons « n’ont jamais rendu les armes », comme l’affirme à juste le titre le journaliste, c’est parce qu’une guerre est toujours en cours.
Les bataillons, quelle menace pour l’Etat ukrainien ?
Sommes-nous ici en train de chercher des excuses aux mouvements ultranationalistes, de pinailler sur les nuances allant du « néo-nazi brun-foncé au beige clair du nationalisme », comme le suggère Paul Moreira dans sa réponse ? Bien au contraire.
Dès l’été 2014, l’Etat ukrainien a cherché à reprendre contrôle des bataillons volontaires en les intégrant aux forces armées régulières. En effet, ces bataillons que l’Etat ne finançait pas et ne contrôlait pas vraiment commençaient à constituer une menace pour son autorité et une gêne pour la conduite stratégique de la guerre dont ils représentaient pourtant la force principale. L’essentiel des bataillons a rejoint le Ministère de la Défense ; le bataillon Azov n’a pas été intégré à l’armée mais à la Garde Nationale qui relève du Ministère de l’Intérieur (encore une erreur factuelle du film) et Pravy Sektor est le seul à s’être maintenu comme un électron libre. Ses combattants ne sont aujourd’hui ni reconnus, ni soutenus, ni financés par l’Etat.
Les bataillons sont composés, depuis janvier 2015, de soldats sous contrat (dont beaucoup d’anciens combattants volontaires, mais aussi de nouvelles recrues) et de soldats mobilisés au cours de plusieurs vagues de conscription. Même intégrés dans les forces armées étatiques, ces bataillons continuent pourtant à poser problème à l’Etat. Si ce dernier est effectivement parvenu à reprendre le contrôle du recrutement et de la gestion des combattants, le ravitaillement des corps armés reste encore en partie dépendant des financements privés, des dons et du travail des bénévoles et la question du degré de contrôle étatique reste toujours ouverte, notamment lorsque des commandants charismatiques (Biletski mentionné dans le film, mais aussi d’autres) restent en fonction. L’enquête de Paul Moreira échoue, hélas, à nous apporter des réponses à ce sujet.
Reste aussi à solder les arriérés des premiers mois d’une guerre conduite par des combattants mal formés et souvent livrés à eux-mêmes. Une question a fait ainsi couler beaucoup d’encre des deux côtés de la ligne de front : celle des exactions et violations des droits de l’homme commises par certains bataillons. Le sujet n’est plus tabou en Ukraine, en dépit du grand respect que la population a pour ses combattants, et a été abordé dans plusieurs rapports des organisations des droits de l’homme. Tout en soulignant que l’échelle et la nature violences rapportées côté ukrainien sont sans commune mesure avec les exactions commises par les pro-séparatistes, un rapport conjoint Centre de Libertés Civiques (CCL)-FIDH 2015 fait le point sur les cas aujourd’hui recensés. De nombreuses poursuites en justice ont été lancées contre les combattants ukrainiens soupçonnés de violence à l’égard des civils. Ce ne sont toutefois pas les bataillons idéologiquement les plus orientés qui sont principalement dans le viseur de la justice, mais d’autres moins « marqués », comme Aïdar ou Tornado dont plusieurs dizaines de membres ont été accusés d’enlèvements, d’extorsion ou de torture. Aucun fait de haine raciale n’a été mis à jour. Aveuglement de l’Etat qui épargne ses éléments les plus extrémistes dans cette guerre ? Pourquoi pas et c’est une hypothèse, mais le film de Paul Moreira n’apporte aucun élément tangible qui nous permette d’en savoir plus.
Il ne dit rien non plus de la place du nationalisme dans la société ukrainienne contemporaine, au-delà du cliché de la révolution ultranationaliste. La pluralité idéologique du Maïdan – de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par un éventail de préférences et d’indifférences politiques, - est passée sous silence et donne l’impression d’une révolution dont le bras armé serait exclusivement néonazi. Nos enquêtes de terrain, tout comme celles de nos collègues, donnent pourtant une image bien différente qui sans nier l’implication des groupes extrémistes, leur redonne leur juste place : des groupes tolérés, minoritaires mais non insignifiants, unités parmi d’autres unités sur le Maïdan. Leur visibilité est en partie le résultat d’une stratégie de communication : ainsi, dans les manifestation pro-Kiev en 2014, Svoboda et Pravy Sektor étaient parmi les rares groupes à sortir des drapeaux, rendant moins visibles les groupes politiques plus modérés. Cette analyse est d’ailleurs partagée par des chercheurs critiques du Maïdan comme Volodymyr Ishchenko. Découvrant le Maïdan sur son écran de télévision et sur la chaîne Youtube, Paul Moreira a confondu l'abondance des images avec l'échelle réelle des actions.
Le postulat de la contamination automatique qui sous-tend le raisonnement de Paul Moreira ne semble pas validé en Ukraine : la présence de groupes d’extrême droite sur la place n’a pas eu pour effet de « diffuser » leur idéologie dans le milieu des révolutionnaires et dans la société ukrainienne, comme en attestent la faiblesse des scores obtenus par les candidats d’extrême droite lors des élections présidentielles et législatives. Aucun des partis ultranationalistes n'a en effet réussi à franchir le seuil minimum permettant d'entrer au parlement. Les scores obtenus sont en nette diminution par rapport au parlement précédent, même si une dizaine d'ultranationalistes ont été élus à titre individuel. Non, les groupes ultranationalistes n’ont pas pris le pouvoir en Ukraine. L’une des raisons de cette relative faible diffusion réside sûrement dans l’abondance de propositions politiques nationalistes modérées dans la société ukrainienne. La question de l’acceptation large d’un nationalisme réactif en Ukraine mérite, elle aussi, toute notre attention critique.
Pourquoi cette réaction vive au documentaire de Paul Moreira ?
Le lecteur de ce billet pourra sans doute se dire que Paul Moreira a eu raison de se lancer dans une enquête sur les groupes armés, tant ceux-là semblent poser question dans l’Ukraine contemporaine. Nous le pensons également. Nous pensons aussi que les changements profonds qu’un conflit armé ou une préoccupation sécuritaire entrainent dans une société sont un sujet de préoccupation majeur, y compris chez nous en Europe de l’Ouest. Cependant, jouer sur les peurs et la diabolisation n’est pas le meilleur moyen de comprendre et de faire comprendre. Ce que nous regrettons, c’est que forte d’une intention initiale louable, l’enquête de Paul Moreira ait à ce point manqué de rigueur, s’appuyant sur des sources peu fiables et se laissant entrainer sur la pente glissante du sensationnalisme et du complotisme. Dans ce conflit elle est devenue, hélas, une arme de guerre.
Anna Colin Lebedev, chercheuse au Centre d'étude des mondes russe, caucasien et centre-européen (CERCEC EHESS)
Ioulia Shukan, maître de conférences à l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense
pauvre cheval...
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Note :
il est probable que les petits soldats à la botte du nain botoxé s'évertueront à dénigrer les auteurs de ces articles,
comme ils ont dénigré les prix nobel de littérature ou les plus prestigieux historiens osant critiquer la Russie,
comme ils ont dénigré la révolution de Maïdan, ou les combats ukrainiens pour s'opposer à l'annexion de la Crimée ou à l'invasion du Donbass.
Tous ces gens, critiques à l'égard de la Russie, ne peuvent évidemment être que des "agents de l'étranger" ennemis du "monde russe".
La France, après la guerre, n'a pas connu les "exploits" des méthodes soviétiques qu'ont connu les pays d'Europe de l'est. Elle a eu la chance, comme les pays d'Europe de l'ouest, d'être sous influence américaine plutôt que soviétique (un plan Marshal, c'était quand même mieux que le KGB et l'armée rouge). Cette inexpérience la laisse, semble-t-il, très perméable aux méthodes poutiniennes, héritées de l'ère soviétique.
- Quand on connait un peu les plans des personnalités influentes en Russie (cf, par exemple, Douguine, qui veut "prendre l'Europe" et créer une Eurasie) et les "investissements" du Kremlin,
- quand on sait que la Russie est l'un des pays les plus corrompus (les amis de Poutine ont -déjà- adopté le système merveilleux de leur maître) et les plus liberticide l'Europe,
- quand on constate qu'au plus haut niveau de l'Etat, des élus (FN de MLP, courant sarkoziste de l'UMP, communistes , FDG de Méchancon... euh pardon... de Mélanchon) ou des hommes s'affaire (Dassault, notamment propriétaire du Figaro) oeuvrent pour faire de Poutine un homme respectable,
quand on sait les sacrifices qu'ont dû faire les pays d'Europe de l'est pour se débarrasser des parasites du Kremlin (cf, par exemple, la série "Sacrifice - Burning Bush" , ou le bouquin "Rideau de fer, l'Europe de l'est écrasée" ),
alors il y a de quoi être inquiet de l'évolution des choses. La résistance ne fait que commencer.
Je viens de voir le film, c'est évidemment un film de propagande antiukrainienne qui a choisi très soigneusement et faussé des quantités de scènes et d'explications. par exemple on fait dire à Ihor qu'il faut parler absolument ukrainien alors qu'il parle lui-même en russe à plusieurs reprises. Le film correspond en tous points à la propagande russe officielle. La traductrice a été choquée de la facon dont ont été coupé certaines phrases. Je pense que même avec des phrases complètes elle aurait dû se rendre compte que le film était antiukrainien et il ne faut pas collaborer avec ce genre d'auteurs.
RépondreSupprimerJe connais le russe et l'ukrainien bien que n'étant ni russe ni ukrainien. Je suis journellement les nouvelles de ces régions sur internet ukrainienne et russe.
Le film ressemble beaucoup aux faux qui ont été tournés par la propagande russe dans les annés 2013-2014 et présente les mêmes idées directrices que la propagande du Kremlin.
RépondreSupprimerA Noter qu'il y a encore actuellement des faux qui sont présentés sur internet. Il y a en particulier une vidéo présentant des inconnus au visage camouflé prétendant être des combattants du régiment Azov et menaçant les Pays Bas d'actes de terrorisme s'ils ne votaient pas en faveur de l'association de l'Union Européenne et de l'Ukraine.
Il y a en effet bientôt une consultation aux Pays-Bas pour savoir si la population y est favorable ou non à une association de l'Union Européenne et de l'Ukraine.
Dans la vidéo suivante : https://www.youtube.com/watch?v=IP4t2udgumI
Azov montre comment il est facile de réaliser des faux et comment ils
pourraient en faire un sur les séparatistes du Donbass.
Merci pour cette info [La nouvelle "cible" du Kremlin (les Pays-Bas)]. Un lien pour compléter : http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/01/15/aux-pays-bas-une-consultation-sur-les-relations-ue-ukraine-a-haut-risque_4847861_3214.html
RépondreSupprimerEspérons que les néerlandais se souviennent du crash MH17 (avion civil abattu par les "terrorusses"), dans lequel 298, personnes, dont 196 Néerlandais et 6 Belges, ont péri.
http://www.rtl.be/info/monde/europe/l-avion-parti-d-amsterdam-qui-s-est-ecrase-en-ukraine-a-bien-ete-abattu-par-un-missile-russe-761903.aspx