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mercredi 17 février 2016

Quand Poutine pense au «sort des gens», l'Europe doit s'inquiéter

mis à jour le 28.01.2016
Peu commentée, une récente déclaration du dirigeant russe laisse présager des lendemains difficiles pour le continent.
En février 2007, Vladimir Poutine avait choisi la conférence annuelle de Munich sur la sécurité pour annoncer le tournant de sa politique extérieure: la fin de la tentative d’intégration dans le système international dominé par l’Occident et le début de la confrontation avec les Etats-Unis. Invité cette année pour disserter sur sa volonté de restaurer le statut de la Russie comme grande puissance, il a décliné l’offre. Il va envoyer à sa place son Premier ministre Dmitri Medvedev, qui a assuré l’intérim de la présidence de 2008 à 2012.

C’est toutefois encore à l’Allemagne que le président russe a réservé sa vision des relations internationales. Il l’a récemment développée dans un long entretien, sur quatre pages grand format réparties sur deux jours, dans le quotidien populaire allemand Bild Zeitung (2 millions d’exemplaires vendus chaque jour). Et dans cet entretien, Vladimir Poutine a énoncé un principe qui rompt avec toute la tradition diplomatique russe et soviétique et pourrait laisser présager des lendemains difficiles, en Europe notamment: «Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les frontières, c’est le sort des gens», a-t-il dit.

Des frontières pas «intangibles» mais «inviolables»

Or, la reconnaissance des frontières existantes a été pendant toute la deuxième moitié du XXe siècle la priorité numéro un de l’URSS. Il est vrai qu’après la Seconde Guerre mondiale, la «patrie du socialisme» avait sérieusement agrandi sa zone d’influence et qu’elle avait tout intérêt à la garder. Toujours est-il que Moscou a cherché d’abord à obtenir un traité de paix qui aurait scellé la division de l’Europe en deux blocs et la division de l’Allemagne en deux Etats. C’est pour fortifier cette frontière que les Soviétiques avaient abaissé ce que Churchill avait appelé «le rideau de fer» et plus tard avaient laissé le régime communiste est-allemand construire un mur au milieu de Berlin puis tout le long de la ligne de démarcation entre les deux Etats allemands.
Faute de traité de paix, la diplomatie soviétique a bataillé pendant des années auprès des Américains et des Européens de l’Ouest pour obtenir la tenue d’une conférence internationale destinée à inscrire dans le marbre les frontières européennes consacrant les gains territoriaux du camp socialiste. Elle est en partie parvenue à ses fins en 1975 avec l’Acte final de la conférence d’Helsinki, qui a débouché sur la création de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe), ancêtre de l’OSCE. Les Occidentaux ont obtenu une contrepartie, la «troisième corbeille» sur le respect des droits de l’homme, peu respectée par les officiels soviétiques et leurs vassaux est-européens mais qui a donné une base légale aux activités des dissidents. La première corbeille concernait la sécurité et la deuxième la coopération économique.
A propos des frontières, les Occidentaux se sont battus à Helsinki pour que soit inscrite dans les textes leur «inviolabilité», et non leur «intangibilité» comme le souhaitait Moscou. En d’autres termes, selon les accords d’Helsinki, réaffirmés dans la Charte de Paris en 1990, les frontières européennes ne pouvaient être changées par la force mais elles pouvaient l’être par consentement des Etats et des populations concernés. C’est ainsi que la disparition de la frontière interallemande et la réunification de l’Allemagne ne contrevenaient pas aux accords, de même que la séparation à l’amiable entre la République tchèque et la Slovaquie.
Vladimir Poutine a fait fi de ces textes en annexant la Crimée par la force, en mars 2014, alors que vingt ans auparavant, la Russie avait signé le mémorandum de Budapest garantissant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Le référendum qui s’est tenu ensuite en Crimée ne change rien à la violation de tous les principes régissant les relations entre Etats européens. Et ce, pas seulement depuis la fin de la guerre froide. Les «petits hommes verts», piètre camouflage pour les soldats russes envoyés en Crimée pour en chasser le pouvoir ukrainien, témoignent du peu de cas que le président russe fait du respect des frontières. Il l’a montré aussi dans l’est de l’Ukraine en soutenant les séparatistes, comme il l’avait montré, en août 2008, en participant au dépeçage de la Géorgie.

Ingérence à sens unique

En affirmant que «le sort des gens» est plus important que les frontières, Vladimir Poutine pourrait donner l’impression qu’il se rallie au «devoir d’ingérence humanitaire» que la Russie condamne par ailleurs. En fait, il n’en est rien. Ou plutôt, si ingérence il y a, elle doit être à sens unique. Pas d’immixtion dans les affaires de la Russie qui, en revanche, se donne le droit d’intervenir chez ses voisins.
Le prétexte ne serait pas difficile à trouver. Survivance de l’Union soviétique, 25 millions de Russes vivent en dehors des frontières actuelles de la Russie. Vladimir Poutine se fait fort de leur venir en aide s’il estime qu’ils sont menacés, que ce soit en Ukraine, en Moldavie, en Lettonie ou en Estonie, par exemple, voire au Kazakhstan. Le président russe a inquiété son collègue kazakh, Nursultan Nazarbaiev, en déclarant que le Kazakhstan, où près du quart de la population est russe, était un Etat «artificiel». C’était juste au lendemain de l’annexion de la Crimée.
La déclaration de Poutine au Bild Zeitung ne signifie pas qu’il est prêt à repartir en croisade du jour au lendemain, après une aventure ukrainienne loin d’être concluante pour Moscou. Mais elle laisse planer sur les intentions russes un doute qu’il serait sage de prendre au sérieux.
Daniel Vernet
slate

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