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dimanche 30 mars 2014

Retour sur la farce du référendum en Crimée [+ vidéo Nicolas Mazzucchi]

Cette crise en Ukraine laissera des cicatrices, c'est certain. Bien au-delà de la l'Ukraine et la Crimée, il s'agira de faire le point sur les différentes alliances qui parfois peuvent paraître "contre-nature" (on pourrait faire un parallèle entre les positions de "Marine Le Pen et Jean Luc Mélanchon", des "communistes et des vrais nazis" de Russie, du pacte Ribbentrop-Molotov...).
Petit retour sur la farce du référendum...

Obama, Merkel, Hollande, l’OSCE, le G7… Tous l’ont dit : le référendum prévu dimanche sur le rattachement de la Crimée à la Russie est «illégal au regard du droit international». Une «farce», pour le nouveau gouvernement de Kiev. Et pour cause : décidé à huis clos par un parlement de Crimée passé sous l’autorité d’un Premier ministre prorusse, Sergueï Aksionov, parachuté dans des conditions troubles, ce référendum s’organise sans observateurs internationaux, dans un contexte d’occupation de fait par les soldats russes et d’information de propagande. On voit mal qui, à part le Kremlin, pourrait reconnaître comme légal et légitime ce scrutin qui s’apparente de plus en plus à une formalité censée avaliser une annexion par la Russie. Mais sur le fond, que dit le droit international? La Crimée pourrait-elle, dans l’absolu, faire sécession?
En préalable au rattachement, le parlement prorusse de Crimée a franchi une étape mardi en proclamant unilatéralement l’indépendance de la péninsule, aussitôt reconnue par Moscou. Les députés disent se fonder sur plusieurs bases: le précédent du Kosovo, la charte des Nations unies et «toute une série d’autres documents internationaux établissant le droit des peuples à l’autodétermination», et un avis rendu par la Cour internationale de justice de 2010. Pendant ce temps, à Moscou, la Douma travaille à une nouvelle loi permettant d’intégrer à la Fédération de Russie un territoire étranger qui en émettrait le souhait − la Crimée, donc − en cas de «défaillance» de l’Etat auquel il appartient − l’Ukraine.
Tout cela, en plus de contrevenir au mémorandum de Budapest par lequel la Russie s’est engagée à respecter l’intégrité des frontières de l’Ukraine et à la protéger contre toute occupation, n’a rien de conforme au droit international, pour plusieurs raisons.
Parce que la Crimée n’est pas le Kosovo
Le Kosovo, qui s’est séparé de la Serbie en 2008 au terme d’un long processus, a incontestablement créé un précédent. Sa proclamation d’indépendance a été reconnue comme ne violant pas le droit international par la Cour internationale de justice en 2010 (voir ici l'avis rendu par la Cour) - ce qui ne veut pas dire que la Cour a reconnu l'indépendance. Quant à savoir si le droit international confère un droit à la sécession, «ce qui avait été plaidé pour le Kosovo par les puissances occidentales, c’est que la sécession peut être un droit quand le peuple d’un territoire fait l’objet d’une oppression grave. C’est ce que l’on a appelé la sécession-remède»,rappelle Jean-Marc Thouvenin, professeur de droit international à Paris Ouest Nanterre-La Défense et directeur du Centre de droit international (Cedin). «Ce fondement juridique, à supposer qu’il soit valable car la Cour ne s’est pas prononcée à son sujet, n’est pas plaidable dans le cas de la Crimée puisque les Criméens ne font l’objet d’aucune oppression avérée.»
Le chercheur relève au passage que «la Russie avait clairement rejeté la théorie de la "sécession-remède" dans le cas du Kosovo, au motif, d’une part, que la Serbie ne menaçait pas la population kosovarde et que, d’autre part, des solutions politiques, comme une autonomie renforcée, demeuraient envisageables. Dans ces conditions, on voit mal comment la Russie pourrait prétendre lui donner effet dans l’affaire de Crimée».
Parce que la Crimée n’est pas l’Algérie
Deuxième argument brandi par le Parlement de Crimée, la charte de Nations unies et le droit des peuples à l’autodétermination. «Le droit à l’autodétermination a été affirmé dans le contexte de la décolonisation. Dans le cas de la Crimée, il faut plutôt parler d’un processus de sécession, explique Jean-Marc Thouvenin. Le droit à l’autodétermination des peuples est donc ici hors sujet. Et la sécession n’est en aucun cas favorisée par la charte des Nations unies, rédigée par des Etats pour des Etats.» Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’applique aux peuples qui ont fait l’objet d’une «subjugation, domination et exploitation étrangères» selon la résolution 1514 votée en 1960 par l’Assemblée générale des Nations unies. C'est ce droit à l'autodétermination qui a été reconnu au peuple algérien et qui a permis, en 1961, le référendum conduisant à l'indépendance. Autres exemples : le Niger, le Cameroun, le Burkina Faso...
La population criméenne peut difficilement prétendre répondre à cette définition. De plus, note le chercheur, «un peuple ne s’autodéfinit pas comme tel: ce sont les Nations unies qui le désignent ainsi». Dit autrement, si demain la Corse se lançait dans un référendum d’indépendance au titre du droit à l’autodétermination, ce serait à la fois contraire au droit français et sans aucun fondement en droit international.
Parce que la Crimée n’est pas l’Ecosse
Le Parlement de Crimée cite enfin un avis rendu par la Cour internationale de justice le 22 juillet 2010, selon lequel «la proclamation unilatérale d’indépendance par une partie d’un Etat ne viole aucune norme du droit international». Certes, mais le droit international ne la légitime pas non plus. En l’espèce, c’est l’accord du gouvernement de l’Etat concerné qui compte. C’est la situation de l’Ecosse, qui tiendra en septembre 2014 un référendum d’indépendance. Londres désapprouve ce scrutin − qui a de toute façon peu de chances de se solder par un oui − mais l’a avalisé par un accord signé en 2012 entre le Premier ministre nationaliste écossais Alex Salmond et le Premier ministre britannique David Cameron.
Autre exemple récent : les Malouines. Le référendum d'autodétermination organisé en 2013, qui s'est conclu par le maintien du statut de territoire britannique d'outre-mer, avait été accepté sur son principe par le Royaume-Uni.
On est loin de la situation de la Crimée, puisque le nouveau gouvernement de Kiev juge nul et non avenu le référendum de dimanche. Surtout, ni la constitution ukrainienne ni celle de Crimée ne prévoient l’hypothèse d’un référendum, souligne Thorniké Gordadzé, conseiller à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et ancien ministre géorgien de l’Intégration européenne. «L’Ukraine n’est pas une confédération dont on peut sortir comme ça. Après l’indépendance de l’Ukraine en 1991, Kiev a accordé à la Crimée un statut autonome, en raison de la présence historique du peuple tatar dans la péninsule. Ce statut donne à la Crimée des institutions propres ainsi que des prérogatives économiques et culturelles, mais il ne lui donne pas le droit de quitter l’Ukraine. Aucun droit de sécession n’est prévu.» Plus précisément, la constitution ukrainienne prévoit (art. 73) que seul un référendum à l'échelle nationale pourrait valider une «altération du territoire».
Parce que la Crimée n’est pas la Transnitrie (mais elle pourrait le devenir)
Territoire russophone de l’est de la Moldavie, la Transnitrie a fait sécession en 1991. «Cela pouvait dans une certaine mesure s’expliquer dans le contexte de la dissolution de l’URSS, mais la situation de la Crimée est très différente», relève Thorniké Gordadzé. L’«indépendance» de la Transnistrie a été confirmée par un référendum local en 2006, soutenu par la Russie. Seules l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, les deux républiques séparatistes de Géorgie reconnues indépendantes par Moscou, reconnaissent la Transnistrie. La Crimée pourrait bien rejoindre très rapidement ce club des territoires annexés manu militari par la Russie sous couvert de la légitimité d’un référendum. «Vladimir Poutine avance coup par coup. Tant que l’Occident ne le contre pas, il avance. La première étape, c’est l’annexion de la Crimée. La deuxième, pronostique Thorniké Gordadzé, ce sera la déstabilisation de l’est de l’Ukraine pour créer un chaos qui affaiblira le gouvernement de Kiev. L’objectif étant, à terme, d’installer un gouvernement prorusse en Ukraine.»




 

Depuis l’annexion de la Crimée par Moscou, 5 000 personnes auraient quitté la péninsule.

Arrivés à la fontaine de Neptune, ils hésitent encore sur les directions à prendre. Sur la place Rynok, dans le centre de Lviv, Vladimir Vladimirov, 37 ans, sa femme Natalia, 39 ans, et leur fils Ernest, 12 ans, pourraient facilement se noyer dans le flot des touristes qui parcourent la grande ville de l’ouest de l’Ukraine. Mais, pour eux, rentrer à la maison n’est plus une possibilité. Ils figurent au nombre des 1 550 réfugiés de Crimée échoués à Lviv.
«Nous ne voulions pas vivre en Russie, mais en Ukraine, explique Vladimir. Nous sommes partis le 9 mars, dès que nous avons pu.» Il y a quelques semaines, ils étaient bien établis à Kertch, ville portuaire de l’est de la Crimée. Lui y avait un bon travail en tant que commerçant. Elle étudiait à l’université et s’occupait d’Ernest. «Tout s’est emballé très vite, raconte-t-il. Chacun a pris son parti. Pour nous, ça a été très rapidement évident. En Russie, et en Crimée aussi, ils regrettent le passé. Ici, ils espèrent le futur.» Un avis partagé par Natalia, qui ajoute : «Tout était devenu très confus, entre la politique, les médias, les gens… Quand nous sommes partis, je ne savais plus dans quel pays j’étais née.»
Dès la première semaine du déploiement des forces russes dans la péninsule, à partir du 28 février, la famille se prépare au départ. Vladimir réserve des billets de train à partir de Djankoï (nord de la péninsule). Quelques complications à la sortie, à cause de l’établissement de contrôles militaires, mais ils passent sans trop d’anicroches.
Direction Lviv, où l’activisme de la société civile locale est rapidement passé du soutien de l’Euromaidan à l’accueil de personnes déplacées. «Quand nous avons commencé à accueillir les premières familles de Crimée, nous avons lancé un appel au soutien des habitants de Lviv. Dès le lendemain, nous avions plus de 350 appels de gens volontaires pour fournir hébergement, vêtements et nourriture, relate Oleh Kolyasa, représentant de la branche locale du «secteur civique de l’Euromaidan», expressément apolitique. Nous ne pouvons assumer les coûts de transport. Mais une fois que les personnes sont ici et prennent contact avec nous, nous les prenons en charge. Nous aidons environ 350 personnes, avec le soutien de particuliers. Les autorités municipales et régionales ont plus de moyens et s’occupent d’environ 1 200 personnes. 90% des réfugiés sont des Tatars de Crimée, les autres sont ukrainiens, et même russes.»
Intimidations. Au moins 5 000 personnes auraient d’ores et déjà quitté la Crimée pour se réinstaller dans une autre région de l’Ukraine, pour des raisons aussi diverses que des choix de vie, des perspectives d’investissement ou des pressions politiques et des intimidations. En tant que citoyens ukrainiens, les personnes déplacées ne peuvent obtenir le statut de réfugié, aussi certaines tentent de pousser jusqu’à l’Union européenne, notamment en Pologne.
Début mars, le maire de Lviv, Andriy Sadovyi, avait publiquement offert son aide aux Criméens. «Nous avons un devoir d’entraide et d’assistance envers ces concitoyens d’une partie défavorisée de notre pays, explique Andriy Moskalenko, chef de l’administration municipale. Juridiquement, nous n’avons pas de compétences pour nous occuper de réfugiés. Mais nous aidons à la coordination de plusieurs organismes pour assurer logement, distribution de vêtements et nourriture, ou encore l’inscription des enfants à l’école.»
«Nous ne manquons de rien, les gens sont extrêmement généreux et compréhensifs avec nous, assure Vladimir Vladimirov. Certains nous donnent même de l’argent. Parce que très vite se posera la question de l’emploi. Je suis déjà en recherche active.» La famille semble décidée à rester. Ernest est déjà scolarisé à l’école municipale numéro 3, dans le centre de Lviv, et affirme «préférer Lviv à Kertch» : «Les enfants sont plus gentils ici, et la ville est très jolie.»
«Nous accueillons déjà quatre enfants venus de Crimée, explique Svitlana Ouralova, la directrice de l’établissement. Ce sont des situations très difficiles pour les familles, aussi, tout le monde est très patient. Certains parlent avant tout le russe, mais ils comprennent l’ukrainien.» Elle considère déjà ces enfants comme des élèves à part entière. Quant à la régularisation de l’inscription, elle prendra «le temps qu’il faudra».
«Surpris».«S’il y a une chose que l’Euromaidan nous aura appris ou réappris, c’est la solidarité, se réjouit Oleh Kolyasa. Je ne cesse d’être surpris par la générosité des gens. Et maintenant, au vu de ce qui se passe à Lviv, les autres régions ont mis en place des structures similaires. Même les régions de l’est du pays se proposent d’accueillir des familles !» Selon lui, les citoyens ont devancé les autorités à travers les réseaux sociaux et le tissu associatif. Mais les pouvoirs publics ont le devoir de prendre le relais. Dimanche, le Premier ministre, Arseniy Iatseniouk, a demandé à ses ministres de préparer un plan d’accueil de 23 000 réfugiés de Crimée à travers 17 régions du pays.
«Quand on pense qu’en Crimée, ils sont convaincus que Lviv est remplie d’extrémistes nationalistes…» observe Shevket, un Tatar de Crimée, qui a emménagé dans la ville avec sa femme et ses trois enfants. Lui n’a pas fait appel aux structures d’accueil, mais plutôt à ses amis. Il se considère à peine comme un réfugié, affirmant qu’il est avant tout citoyen ukrainien. S’il est parti de Féodossia, sa ville natale, ce n’est pas à cause d’intimidations, mais «parce que [son] café a coulé à cause de la situation là-bas». Privé de ses perspectives en Crimée, il cherche à ouvrir un nouveau restaurant à Lviv. Il ne voit pas le rattachement de la péninsule à la Russie comme une fatalité, et affirme vouloir s’y rendre autant de fois qu’il le pourra. «Mais sérieusement, rester en Crimée, cela veut dire retourner en ex-URSS. Qui a envie de vivre dans un tel environnement ?»
Sébastien GOBERT Envoyé spécial à Lviv (Ukraine)










 

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