Les Européens
hésitent sur l'attitude à adopter face à la Russie après le
rattachement de la Crimée et les menaces contre l'Ukraine.
Pouvaient-ils, devaient-ils faire plus? Le point de vue d'Anne Marie
le Gloannec, politologue, spécialiste de l'UE.
L'Union européenne hausse le ton avec Moscou après le rattachement de la Crimée à la Russie. Réunis jusqu'à vendredi à Bruxelles, les dirigeants européens cherchent une riposte crédible. Les 28 ont annoncé l'annulation du sommet prévu en juin avec la Russie et vont ajouter des noms à la liste des 21 responsables russes déjà sanctionnés. Celle-ci ne comptait que des responsables de second ordre. "Il est temps de viser l'entourage proche du président Vladimir Poutine", a plaidé la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité.
Pas question pour le moment d'aller jusqu'à des sanctions économiques. Mais "en cas d'escalade, (...) nous sommes prêts à chaque instant à passer à la phase trois des sanctions et il s'agira sans aucun doute de sanctions économiques", a toutefois averti Angela Merkel devant le Bundestag ce jeudi matin.
De son côté, le président américain Barack Obama a annoncé à Washington des sanctions contre de nouveaux responsables et contre une banque russe, et menacé Moscou de s'en prendre à des "secteurs clé" de son économie. Anne-Marie Le Gloannec, Directrice de recherche à Sciences-Po, spécialistes des politiques étrangères européenne a répondu aux questions de L'Express sur les tâtonnements de Bruxelles dans cette crise.
Pourquoi les Européens peinent-ils à se mettre d'accord sur les mesures à prendre après l'annexion de la Crimée par la Russie ?
On peut voir le verre à moitié vide et le verre à moitié plein. On peut certes déplorer une réaction tardive, en deçà de ce que la gravité de la crise exigerait. La raison est simple. Avec 28 pays, il est difficile de mener une politique extérieure.
Les Européens sont aussi paralysés par leurs intérêts commerciaux et énergétiques. C'est pourquoi ils se sont limités à des sanctions contre des responsables russes sans aller jusqu'à des sanctions économiques.
La réaction européenne a pourtant été moins timorée qu'au moment de la crise géorgienne, en 2008. Les Européens ont enfin pris conscience du vrai visage de Poutine.
Les Allemands, en particulier, ont beaucoup évolué depuis lors. Le tandem formé par la chancelière Angela Merkel et le ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier fonctionne bien. Steinmeier a pris ses distances avec son ancien patron Gerhard Schroeder [aujourd'hui à la tête de Nord Stream, l'une des principales filiales du géant russe Gazprom et très critiqué en Allemagne même, par le fait qu'il paraît disculper son ami Poutine]. Ils ont adopté une ligne plus ferme, même si cela doit avoir des conséquences pour l'économie allemande.
Et les autres pays européens ?
Le Royaume-Uni a également haussé le ton après une réaction initiale particulièrement frileuse. La France est l'une des plus prudentes parmi les grands pays de l'Union. On a l'impression que Paris attend de voir ce que les autres vont faire. Le flottement sur la suspension éventuelle de la vente à la Russie des deux navires de guerre Mistral a été lamentable. Au delà, le véritable "ventre mou" de l'Union, c'est l'Europe du sud, de la Bulgarie à l'Italie, beaucoup trop indulgents vis-à-vis des agissements du Kremlin.
Les Américains sont plus intransigeants...
Les Etats-Unis réagissent avec plus de vigueur en raison de l'échec de la politique de reset [redémarrage, après la période de tension avec l'administration Bush] décidée par Barack Obama au début de son mandat. Il n'a rien obtenu de Moscou en échange de ses ouvertures. Beaucoup moins dépendants de la Russie en matière énergétique et en terme d'échanges économiques, les Américains sont bien sûr plus libres d'agir. Ils ont aussi pris conscience qu'ils se sont fait humilier sur la question syrienne. L'accord proposé par le Kremlin sur les armes chimiques après des mois de blocage à l'ONU a été compris comme un blanc-seing pour le soutien Russe au régime syrien.
Certains continuent de penser qu'il faut à tout prix préserver le dialogue...
Mais c'est la Russie qui refuse le dialogue ! D'accord, on n'a peut-être pas mis assez les formes au moment de l'effondrement de l'URSS. En 1990, James Baker (le secrétaire d'Etat américain) et Helmut Kohl (le chancelier allemand) avaient évoqué avec Moscou une non-extension de l'Otan aux anciens pays de l'Est, mais en dernier ressort, rien n'a été gravé dans le marbre. Les Occidentaux ne sont pas irréprochables, en effet.
Pour autant, l'Occident n'a cessé de tendre la main à la Russie, souvent sans même attendre que Moscou ne réponde aux exigences minimum requises : l'admission au Conseil de l'Europe, l'élargissement du G7 au G8... Et puis, au nom de quoi les pays d'Europe centrale n'auraient-ils pas le droit de choisir leurs alliances ?
Dossier "L'Ukraine, la Crimée, la Russie" : l'Express
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