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vendredi 25 avril 2014

Holodomor / голодомо́р


Les Ukrainiens l'appellent "Holodomor" ou "l'extermination par la faim". Le fléau qui s'abattit sur l'Ukraine soviétique au début des années 1930 et qui atteignit son paroxysme en hiver 1933 est aussi désigné sous le vocable de "famine artificielle" car le manque de vivres résultait non pas d'un désastre naturel, telle une sécheresse ou une invasion de sauterelles, mais provenait de la confiscation par l'État soviétique des denrées aliementaires indispensables à la population locale. Enlevés aux producteurs, les céréales et les autres produits agricoles furent emmagasinés sous bonne garde en Ukraine, puis transportés en Russie, ou vendus en Europe. Différentes estimations évaluent le nombre de victimes entre quatre et dix millions de personnes.
Le chiffre de 6,000,000 fourni par un haut fonctionnaire de Kharkiv au rédacteur d'un journal yiddish de New York, reste encore le plus fiable. Par sa nature et son ampleur, la Grande Famine ukrainienne appartient à la catégorie de crimes que, suite aux atrocités de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté internationale qualifia de "génocide" et condamna comme l'ultime crime contre l'humanité.

L'analyse de la famine ukrainienne ne saurait ignorer les spécificités des liens coloniaux qui rattachaient l'Ukraine à la Russie. Moscou refusait toujours de reconnaître les Ukrainiens comme un peuple distinct, avec droit à une vie nationale indépendante. Devenus maîtres du Kremlin, les bolcheviks s'opposaient à la désintégration de ce que Lénine appela jadis la "prison des peuples", et combattirent surtout la séparation de l'Ukraine - un pays de grande richesses naturelles et pourvu d’une abondante main-d'œuvre. Proclamée indépendante en 1918, l'Ukraine fut envahie par l'Armée rouge et ramenée dans le giron russe. L'ancien "grenier" de la Russie tsariste, devenu une république fantoche, continuait à ravitailler les centres urbains soviétiques. Quand Staline déclencha sa révolution industrielle vers la fin des années 1920, l'Ukraine devint une source indispensable de son financement. Le moindre signe d'un réveil national ukrainien fut interprété comme un rejet du pouvoir bolchevik et une menace à l'intégrité de l'empire soviétique, et fut réprimé en conséquence. La famine des années 1930 n'était que l'expression la plus sinistre de la politique coloniale russe en Ukraine.

Pendant les trente premières années du régime soviétique, les Ukrainiens connurent cinq famines (1921-23, 1924-26, 1927-28, 1932-33, 1946-47). Tous ces désastres auraient pu être évités si l'Ukraine avait utilisé ces produits agricoles pour subvenir d'abord aux besoins de sa propre population. La famine de 1932-33 - la plus meurtrière -correspond quant à elle à la définition de génocide, telle que formulée par la "Convention sur la prévention des génocides" de 1948. C'était un "acte commis dans l'intention de détruire une partie d'un groupe national". La cible de la politique génocidaire de Staline était la paysannerie ukrainienne - la force vitale et la base démographique de la nation ukrainienne. La "dékoulakisation" déracina la partie la plus compétente et performante de cette population et mena à la déportation d’un grand nombre en Russie. La collectivisation de l'agriculture permit à l'État de pousser les prélèvements jusqu'aux limites du possible. L'Ukraine fut soumise "à des conditions d'existence devant entraîner la destruction physique" d'un grand nombre de paysans. Pour empêcher la population de fuir les villages affamés, l'État introduisit un système de passeport, dont furent exclus les paysans.

Après des décennies de négation en URSS et en Occident, l'authenticité de la famine ukrainienne est enfin reconnue. Cependant, l'hésitation existe encore, à savoir si cette catastrophe doit être classifiée comme génocide ukrainien. On évoque souvent l'argument que la famine sévissait aussi en Russie et au Kazakhstan, et que les victimes en furent surtout les paysans. La question se pose alors: sommes-nous en face d’un problème à caractère socio-économique plutôt que national? Ces objections méritent une considération sérieuse. L'extermination des Kazakhs par la faim doit sans doute être inclue sur la liste des génocides, mais cette inclusion ne contredit d'aucune façon le génocide ukrainien. L'examen de la famine en Russie révèle que malgré les difficultés sérieuses de ravitaillement, il n'y avait pas de famine généralisée comme en Ukraine. Les régions affligées étaient contiguës à l'Ukraine et habitées en grande partie par les Ukrainiens (par exemple, le Kouban) et par d'autres minorités non-russes (dont des Allemands). Aussi, une comparaison de la proportion des paysans russes et ukrainiens morts d'inanition montre un écart énorme entre les deux groupes. Les tentatives de fuite des paysans ukrainiens vers la Russie et la Belarus est bien documentée, mais aucun mouvement dans le sens inverse n'a été enregistré. D'ailleurs, c'est pour empêcher les paysans ukrainiens de quitter leur pays que Molotov et Staline signèrent un circulaire secret en janvier 1933 visant à appréhender les fuyards sur la frontière ukrainienne.

Pour apprécier l'envergure du génocide ukrainien, il faut placer la famine dans le contexte de la politique de russification entreprit par le régime à la fin des années 1920 et au début des années 1930. L'ukrainisation des villes, effectuée par l'afflux des paysans ukrainiens, fut arrêtée et renversée par la russification de l'école et de l'administration. Une chasse aux élites intellectuelles ukrainiennes décima les cadres culturels et politiques de la république. La nation fut littéralement décapitée. 


Le ministre Kenney rend visite au musée de l’Holodomor et le monument commémoratif en l’honneur des victimes de l’Holodomor, où il a déposé un pot de grains symbolique pour souligner le 80e anniversaire du famine et génocide ukrainien de 1932-33 – Kyiv (Ukraine) – le 3 mars 2013










En France, en novembre 2006, le député conservateur (UMP) Christian Vanneste a déposé une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide ukrainien. Au titre de la nouvelle législature, il dépose à nouveau la proposition de loi le 9 octobre 2007, proposition cosignée par plus de trente députés centristes et conservateurs.
N° 254
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2007.
PROPOSITION DE LOI
relative à la reconnaissance du génocide ukrainien
de
1932-1933,
(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
PAR M. Christian VANNESTE,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La République française reconnaît, à travers ses lois, les différents événements qui ont marqué l’Histoire internationale. Aujourd’hui, les lois mémorielles permettent de mettre en exergue les souffrances subies par des peuples et infligées par leurs bourreaux dont l’atrocité et le fanatisme idéologique furent sans limite au cours du XXe siècle.
Fondamentalement, il s’agit de reconnaître les génocides qui ne l’ont pas encore été à ce jour, afin, d’une part, de permettre une prise de conscience citoyenne susceptible d’en prévenir la réitération, d’autre part de réaffirmer notre attachement au respect de la dignité de la personne humaine.
Il est en conséquence essentiel que l’oubli ne frappe pas la tragédie dont a été victime le peuple ukrainien en 1932-33.
Largement occultée jusqu’à la disparition de l’Union soviétique, la grande famine de 1932-1933 en Ukraine est le crime de masse le plus effroyable du régime stalinien. Cette entreprise d’extermination décidée et mise en œuvre par les dirigeants de l’URSS à l’encontre de la paysannerie ukrainienne a été une catastrophe nationale majeure pour l’Ukraine.
Les historiens estiment à sept millions le nombre des victimes de cette famine-génocide qui visait à anéantir le sentiment national ukrainien. Le « grenier à blé » de l’URSS est devenu le cimetière des affamés.
Le génocide ukrainien est dans la mémoire collective de l’humanité. Le Parlement français soucieux de ne pas introduire de discrimination dans les exactions commises à l’encontre de la race humaine, s’honorera en votant la reconnaissance publique par la France du génocide ukrainien de 1932-1933.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
La France reconnaît publiquement le génocide ukrainien de 1932-1933.













A lire l'article de Riposte laïque :
http://ripostelaique.com/pourquoi-ne-parle-t-on-jamais-de-lholomodor-massacre-organise-de-7-milllions-dukrainiens-par-staline.html












Les cendres de l’Holodomor frappent à mon cœur

Ces dernières semaines, à l’occasion des événements en Ukraine, j’ai été invitée sur différents plateaux de télévision où les responsables de programmes ont cherché à équilibrer le débat en invitant des «pour» et des «contre». J’ai entendu des arguments de la part de plusieurs Français, invités comme moi, qui acceptaient docilement la partition qui menace l’Ukraine. En substance, ils disaient qu’il ne fallait pas chatouiller l’ours russe, que la Crimée était historiquement russe et l’est de l’Ukraine russophone, que l’Europe n’avait pas à délivrer à l’Ukraine des promesses qu’elle ne pouvait tenir, et j’en passe. Avec quelques soupirs et des considérations dites géopolitiques, ils concédaient à la Russie des droits «historiques» sur l’Ukraine d’après les lignes de partage entre les Empires russe et austro-hongrois d’avant la Première Guerre mondiale. Sur les plateaux de télévision, le temps nous est compté. J’aimerais donc apporter, par écrit, quelques précisions sur cette Ukraine «russe» ou «russophone».
Commençons par la Crimée qui fut peuplée de tribus turques et tatares depuis des temps immémoriaux. Peu à peu, sous l’influence de vagues d’immigrants et de conquérants, turcs et mongols, le peuple particulier des Tatars de Crimée s’est formé qui possédait son propre Etat, le khanat de Crimée, de 1441 à 1783. Se trouvant sous protectorat de la Porte, ce khanat fut détruit par les troupes russes qui ont d’abord brûlé et saccagé la partie intérieure de la Crimée, en 1736, puis annexé l’ensemble du territoire, en 1783.
Dix ans plus tard, sur 500 000 Tatars de Crimée, il n’en restait que 120 000. Les autres furent exterminés ou forcés à l’exil en Turquie. A la suite de la guerre de Crimée, en 1850-1860, la communauté tatare a été contrainte à un nouvel exode : près de 200 000 personnes fuirent la persécution russe en s’installant en Turquie, en Bulgarie et en Roumanie. Après la révolution d’Octobre, les Tatars de Crimée ont lutté, en vain, pour leur indépendance. En 1944, sur ordre de Staline, les Tatars de Crimée furent condamnés à une déportation collective pour «collaboration», y compris ceux qui avaient combattu dans l’Armée rouge. Près de 200 000 personnes furent envoyées en Ouzbékistan, au Kazakhstan, dans l’Oural où entre un quart et la moitié de ces gens ont péri dans des conditions terribles. A la différence des autres peuples déportés qui purent rentrer dans leurs terres en 1956, les Tatars n’ont été autorisés de rentrer qu’à partir de 1989, sous Gorbatchev. La Crimée étant un lieu de villégiatures privilégié par l’establishment soviétique. Aujourd’hui, les Tatars sont près de 250 000 en Crimée et ils sont des farouches partisans de l’Etat ukrainien qui leur a donné la possibilité de s’installer dans leur patrie historique. Allons-nous assister, impuissants, à une guérilla suivie d’un quatrième exode de ces autochtones si le rattachement de la Crimée à la Russie se confirme ? Le scénario risque d’être le même que pour l’Abkhazie où les Russes, agissant de concert avec les Abkhazes, ont expulsé, en 1992-1993, près de 400 000 Géorgiens.
Parlons maintenant de l’Ukraine de l’Est où vivent plusieurs millions de Russes ethniques et plusieurs millions d’Ukrainiens russophones. Pourquoi cette partie du pays qui a été sous domination de l’empire des tsars puis sous celle des Soviets est-elle à ce point russifiée ? D’abord parce qu’en Russie tsariste le russe était la seule langue officielle. Kiev comme Tbilissi parlaient le russe. Ensuite parce que la renaissance de la culture et de la langue ukrainienne sous les bolcheviks fut très brève. C’est à l’est, à Kharkiv, capitale de l’Ukraine dans les années 20, que se trouvait l’épicentre de cette renaissance. Au début des années 30, ses théâtres, ses poètes, ses peintres, dont un groupe important de futuristes, connurent une fin tragique. Tous ces artistes furent arrêtés. Ils passèrent quelques années au goulag avant d’être fusillés en 1937, la plupart en Carélie. Parallèlement, le pouvoir soviétique a exterminé les aèdes, les kobzari, ces aveugles qui parcouraient l’Ukraine à pied, d’un village à l’autre, en chantant des épopées populaires au son d’un instrument à cordes, la kobza. Ces porteurs de la culture populaire dans un pays encore largement paysan furent convoqués au congrès des kobzari à Kharkiv, en 1932. De ce congrès, aucun n’est revenu.
Parallèlement à l’extermination de la culture ukrainienne, le Kremlin s’est mis à exterminer les paysans ukrainiens. L’Holodomor, la famine de 1932-1933, qui a emporté, selon diverses estimations, les vies de 4 à 7 millions d’Ukrainiens, fut orchestrée par Staline pour briser la résistance de la paysannerie à la collectivisation. En 1932, on confisqua aux paysans leurs récoltes, leur bétail, leurs semences, et en 1933, ils moururent en masse, encerclés par des troupes pour les empêcher d’affluer vers des villes. Cette famine eut lieu dans la région d’Odessa, et de Dniepropetrovsk, de Kiev et de Tchernigov, de Donetsk et de Kharkiv.
A ces morts de l’Holodomor, s’ajoutent près de 7 millions de victimes de la Seconde Guerre mondiale, militaires et civiles (dont un million de Juifs). Ces régions de l’Est, qui avaient perdu au total entre 11 et 14 millions d’Ukrainiens, en majorité ukrainophones, furent repeuplées par des Russes envoyés en masse par Staline, avant et surtout après la Seconde Guerre mondiale, pour participer à l’industrialisation. Une partie de la population de ces provinces reste soviétisée. C’est pour cette raison qu’elle défend bec et ongles les statues de Lénine érigées pendant l’époque soviétique : pour ces gens, vingt-deux ans après l’éclatement de l’URSS et la fin du régime soviétique, c’est le symbole de la Russie de Poutine. Aujourd’hui, des voix de ces «pro-Russes», encouragés par la propagande russe s’élèvent à l’Est : à Kharkiv, Donetsk, Odessa et Kherson, pour demander le «rattachement» de leurs régions à la Crimée et donc à la Russie. Quel sacrilège ! Il s’agit des terres arrosées de sang de millions de victimes innocentes, des terres où certains champs ne sont toujours pas labourés car il s’y trouve des fosses communes de victimes de l’Holodomor et des nazis.
Je souligne que j’ai parlé exclusivement de l’est de l’Ukraine, et non de sa partie occidentale, de cet Est que nos experts sont généreusement prêts à abandonner à la grande Russie, au nom de la paix, du partage des sphères d’influence, de l’incapacité européenne à assumer l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, etc. Les cendres de l’Holodomor frappent à mon cœur. Allons-nous observer, sans broncher, comment Poutine parachève l’œuvre de Staline en annexant les terres historiques et inaliénables de la nation ukrainienne ?






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