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mardi 13 mai 2014

Que se passe-t-il en Ukraine : une guerre civile ou une guerre libératrice ?

Ceux qui critiquent le pouvoir et les activistes pro-ukrainiens doivent répondre à une question : que doivent faire les gens portant des symboles de l’Ukraine lorsqu’ils sont cible des tirs de mitraillettes ?
La journée du 2 mai, tragique non seulement pour Odessa mais pour l’Ukraine toute entière, a relancé de plus belle la discussion au sujet de la guerre civile. Les corps carbonisés et empoisonnés dans le bâtiment de la Chambre des syndicats ont été un puissant prétexte pour ces réflexions. Les personnes mortes et asphyxiées dans l’incendie sont à plaindre indépendamment de leurs convictions politiques.
Des gens sensés parleront des huit patriotes ukrainiens tués par les terroristes pro-russes, diront que les participants de la marche pour l’unité de l’Ukraine essayaient d’aider les gens dans l’immeuble en feu malgré les tirs en provenance du toit, que le foyer principal de l’incendie se trouvait à l’intérieur du bâtiment et que le fait qu’il y ait des victimes arrangeait surtout les organisateurs du massacre à Odessa – les agents et provocateurs professionnels au service de Poutine. Il est difficile de contester le droit du peuple à l’autodéfense mais les cadavres carbonisés ont eu l’effet escompté : la thèse d’une guerre civile est propagée par le Kremlin avec un zèle exceptionnel.

Y a-t-il une guerre civile en Ukraine ?
D’un point de vue formel, on peut qualifier de guerre civile un conflit dans lequel, pour des raisons religieuses, ethniques ou politiques, une partie des citoyens d’un pays s’oppose, armes en main, à une autre partie des citoyens. Il est vrai qu’il existe un conflit entre les partisans de l’unité et de l’intégrité de l’Ukraine et ceux qui veulent liquider l’Etat ukrainien. Plus encore, il existait plus tôt, pendant les évènements du Maidan. Par exemple, de ce point de vue, on aurait pu considérer comme un épisode de guerre civile la nuit de fin janvier de cette année, déjà inscrite dans l’histoire moderne de l’Ukraine, pendant laquelle les « titouchkas »² ont été tabassés à Kiev. Il est très simple de manipuler l’histoire des dents cassées d’un gamin de 18 ans. Il est pauvre, démuni et socialement vulnérable. On peut même enregistrer un reportage expliquant comment il est arrivé à Kiev dans le but de gagner 500 grivna pour acheter des médicaments à sa mère malade. D’autre part nous, les habitants de Kiev, qui lui avions cassé les dents, dirons que nous étions en train de défendre notre ville face aux voyous et pilleurs.
Et  quant aux “Berkout¹”? A-t-on brûlé avec des cocktails Molotov les agents des forces spéciales du Ministère de l’Intérieur ? Oui. Sont-ils des citoyens ukrainiens? Oui. C’est donc une guerre civile.
D’un point de vue formel, on peut considérer comme une guerre civile toute confrontation violente des groupes sociaux poursuivant chacun son propre intérêt.  Cependant, il est impossible d’évaluer ce genre d’évènements en dehors du contexte ethnique, en les réduisant à des aspects purement formels. La base de la civilisation européenne est formée d’une couche épaisse de libéralisme et d’humanisme, reposant sur les fondations du christianisme. Vue au départ de ces fondations, une bande de deux mille voyous acheminés en ville pour semer la terreur – ce n’est pas un peuple. Ce sont des criminels représentant un danger pour la vie d’autrui.  La police qui n’est intéressée que par les pots-de-vin, la protection des commerces et les violences illimitées infligées aux citoyens, ce n’est pas un peuple, c’est un groupement criminel organisé. L’inactivité de la police et sa complicité avec les terroristes à Odessa ne peuvent être expliquées par l’amour que portent les flics à la Russie de Poutine. A la base de cet amour se trouvent non pas la langue russe et Pouchkine, mais des choses beaucoup plus immorales d’un point de vue européen : le désir de travailler comme avant, sous le régime de protectionnisme, de pillage et d’anarchie, même en faisant partie de la Russie. Un conflit de l’Etat et de la société avec un groupement criminel organisé peut-il  être considéré comme une guerre civile?
On ne peut taire le fait que dans les villes dirigées de façon efficace, toutes les manifestations pro-russes se déroulent dans le calme, de façon pacifique et peu nombreuse. Dnipropetrovsk en est la preuve principale, mais on peut dire la même chose de Kharkiv : il a suffi de bloquer les filières d’acheminement de « titouchkas » pour tout calmer. Les manifestations de séparatistes rassemblent environ 200 personnes. Il est impossible d’en réunir davantage sans provocateurs, sans aide de saboteurs et sans financement externe.
Ainsi, parler d’une guerre civile en Ukraine est pour le moins naïf. On pourrait parler d’un éclatement uniquement si les habitants de l’Est et du Sud organisaient de façon autonome des rassemblements de plusieurs milliers de personnes réclamant un rattachement à la Russie. A la place, nous voyons que de telles manifestations sont dirigées par les services secrets russes utilisant l’argent du clan Yanoukovitch pour payer les « titouchkas » et engager des agents. L’image télévisée de ce processus effraie. Oui, à ces évènements participent également des ukrainiens « pro-poutine ». Mais les éléments tels que la violence, les armes et les victimes apparaissent dans ce genre de circonstance uniquement avec le soutien des collaborateurs des services secrets russes.
Revenons à Odessa. On peut critiquer les participants radicaux de la marche patriotique pour avoir utilisé les cocktails Molotov qui, sans doute, ont aggravé la situation des gens à l’intérieur de l’immeuble de la Chambre de syndicats. Mais ceux qui critiquent doivent répondre également à d’autres questions : que doivent faire les personnes non armées sur lesquelles on tire aux mitraillettes ? Et que doit faire le peuple qui tente de sauver le pays ?
La tragédie d’Odessa n’aurait pas eu lieu si le groupement criminel organisé policier ne jouait pas dans le camp des terroristes pro-russes. Etant donné l’inactivité de la police, les habitants sont sortis eux-mêmes défendre leur ville. Ce genre de violente confrontation continuera à éclater dans les villes où les restes de l’ancien Etat et de l’ancien système jouent contre l’Ukraine ou restent inactifs.
Ce qui se passe maintenant, c’est la guerre ukrainienne pour l’indépendance. Cette guerre peut aider à construire un système d’Etat efficace. En passant par des pertes,  des malheurs et l’écartement impitoyable de personnes incapables de relever les défis réels et non pas imaginaires.
Malheureusement, dans l’histoire des guerres identiques ou similaires, guerres pour l’avenir et l’Etat, il y a suffisamment d’exemples tragiques et cruels. L’un d’eux, c’est la tragédie du village de Kibiya, appelée massacre dans de nombreuses chroniques : en 1953, les forces spéciales d’Israël ont tué par erreur 69 habitants pacifiques en faisant exploser des maisons dans ce village de Jordanie. Cela a compliqué pour longtemps les relations d’Israël avec l’ONU et les USA mais n’a pas mis en doute la lutte des israéliens pour leur existence et leur Etat. Notre situation est similaire. Nous n’avons pas d’autre pays que l’Ukraine. Donc, la guerre contre ceux qui veulent nous prendre notre maison et la donner à gérer à Poutine est une action logique et parfois cruelle. Plus le travail de l’Etat sera efficace, moins de personnes périront dans cette guerre.
Un texte traduit par Natalia Ostach
¹ Berkout : forces spéciales servant de police antiémeute, dépendantes du Ministère de l’Intérieur ukrainien
² Titouchkas : hooligans suspectés d’être rétribués par le gouvernement

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