Ceux qui critiquent le pouvoir et les activistes
pro-ukrainiens doivent répondre à une question : que doivent
faire les gens portant des symboles de l’Ukraine lorsqu’ils sont
cible des tirs de mitraillettes ?
La journée du 2 mai, tragique non seulement pour
Odessa mais pour l’Ukraine toute entière, a relancé de plus belle
la discussion au sujet de la guerre civile. Les corps carbonisés et
empoisonnés dans le bâtiment de la Chambre des syndicats ont été
un puissant prétexte pour ces réflexions. Les personnes mortes et
asphyxiées dans l’incendie sont à plaindre indépendamment de
leurs convictions politiques.
Des gens sensés parleront des huit patriotes
ukrainiens tués par les terroristes pro-russes, diront que les
participants de la marche pour l’unité de l’Ukraine essayaient
d’aider les gens dans l’immeuble en feu malgré les tirs en
provenance du toit, que le foyer principal de l’incendie se
trouvait à l’intérieur du bâtiment et que le fait qu’il y ait
des victimes arrangeait surtout les organisateurs du massacre à
Odessa – les agents et provocateurs professionnels au service de
Poutine. Il est difficile de contester le droit du peuple à
l’autodéfense mais les cadavres carbonisés ont eu l’effet
escompté : la thèse d’une guerre civile est propagée par le
Kremlin avec un zèle exceptionnel.
Y a-t-il une guerre civile en Ukraine ?
D’un point de vue formel, on peut qualifier de
guerre civile un conflit dans lequel, pour des raisons religieuses,
ethniques ou politiques, une partie des citoyens d’un pays
s’oppose, armes en main, à une autre partie des citoyens. Il est
vrai qu’il existe un conflit entre les partisans de l’unité et
de l’intégrité de l’Ukraine et ceux qui veulent liquider l’Etat
ukrainien. Plus encore, il existait plus tôt, pendant les évènements
du Maidan. Par exemple, de ce point de vue, on aurait pu considérer
comme un épisode de guerre civile la nuit de fin janvier de cette
année, déjà inscrite dans l’histoire moderne de l’Ukraine,
pendant laquelle les « titouchkas »² ont été
tabassés à Kiev. Il est très simple de manipuler l’histoire des
dents cassées d’un gamin de 18 ans. Il est pauvre, démuni et
socialement vulnérable. On peut même enregistrer un reportage
expliquant comment il est arrivé à Kiev dans le but de gagner 500
grivna pour acheter des médicaments à sa mère malade. D’autre
part nous, les habitants de Kiev, qui lui avions cassé les dents,
dirons que nous étions en train de défendre notre ville face aux
voyous et pilleurs.
Et quant aux “Berkout¹”? A-t-on brûlé
avec des cocktails Molotov les agents des forces spéciales du
Ministère de l’Intérieur ? Oui. Sont-ils des citoyens ukrainiens?
Oui. C’est donc une guerre civile.
D’un point de vue formel, on peut considérer
comme une guerre civile toute confrontation violente des groupes
sociaux poursuivant chacun son propre intérêt. Cependant, il
est impossible d’évaluer ce genre d’évènements en dehors du
contexte ethnique, en les réduisant à des aspects purement formels.
La base de la civilisation européenne est formée d’une couche
épaisse de libéralisme et d’humanisme, reposant sur les
fondations du christianisme. Vue au départ de ces fondations, une
bande de deux mille voyous acheminés en ville pour semer la terreur
– ce n’est pas un peuple. Ce sont des criminels représentant un
danger pour la vie d’autrui. La police qui n’est intéressée
que par les pots-de-vin, la protection des commerces et les violences
illimitées infligées aux citoyens, ce n’est pas un peuple, c’est
un groupement criminel organisé. L’inactivité de la police et sa
complicité avec les terroristes à Odessa ne peuvent être
expliquées par l’amour que portent les flics à la Russie de
Poutine. A la base de cet amour se trouvent non pas la langue russe
et Pouchkine, mais des choses beaucoup plus immorales d’un point de
vue européen : le désir de travailler comme avant, sous le
régime de protectionnisme, de pillage et d’anarchie, même en
faisant partie de la Russie. Un conflit de l’Etat et de la société
avec un groupement criminel organisé peut-il être considéré
comme une guerre civile?
On ne peut taire le fait que dans les villes
dirigées de façon efficace, toutes les manifestations pro-russes se
déroulent dans le calme, de façon pacifique et peu nombreuse.
Dnipropetrovsk en est la preuve principale, mais on peut dire la même
chose de Kharkiv : il a suffi de bloquer les filières
d’acheminement de « titouchkas » pour tout calmer. Les
manifestations de séparatistes rassemblent environ 200 personnes. Il
est impossible d’en réunir davantage sans provocateurs, sans aide
de saboteurs et sans financement externe.
Ainsi, parler d’une guerre civile en Ukraine est
pour le moins naïf. On pourrait parler d’un éclatement uniquement
si les habitants de l’Est et du Sud organisaient de façon autonome
des rassemblements de plusieurs milliers de personnes réclamant un
rattachement à la Russie. A la place, nous voyons que de telles
manifestations sont dirigées par les services secrets russes
utilisant l’argent du clan Yanoukovitch pour payer les
« titouchkas » et engager des agents. L’image télévisée
de ce processus effraie. Oui, à ces évènements participent
également des ukrainiens « pro-poutine ». Mais les
éléments tels que la violence, les armes et les victimes
apparaissent dans ce genre de circonstance uniquement avec le soutien
des collaborateurs des services secrets russes.
Revenons à Odessa. On peut critiquer les
participants radicaux de la marche patriotique pour avoir utilisé
les cocktails Molotov qui, sans doute, ont aggravé la situation des
gens à l’intérieur de l’immeuble de la Chambre de syndicats.
Mais ceux qui critiquent doivent répondre également à d’autres
questions : que doivent faire les personnes non armées sur
lesquelles on tire aux mitraillettes ? Et que doit faire le
peuple qui tente de sauver le pays ?
La tragédie d’Odessa n’aurait pas eu lieu si le
groupement criminel organisé policier ne jouait pas dans le camp des
terroristes pro-russes. Etant donné l’inactivité de la police,
les habitants sont sortis eux-mêmes défendre leur ville. Ce genre
de violente confrontation continuera à éclater dans les villes où
les restes de l’ancien Etat et de l’ancien système jouent contre
l’Ukraine ou restent inactifs.
Ce qui se passe maintenant, c’est la guerre
ukrainienne pour l’indépendance. Cette guerre peut aider à
construire un système d’Etat efficace. En passant par des pertes,
des malheurs et l’écartement impitoyable de personnes incapables
de relever les défis réels et non pas imaginaires.
Malheureusement, dans l’histoire des guerres
identiques ou similaires, guerres pour l’avenir et l’Etat, il y a
suffisamment d’exemples tragiques et cruels. L’un d’eux, c’est
la tragédie du village de Kibiya, appelée massacre dans de
nombreuses chroniques : en 1953, les forces spéciales d’Israël
ont tué par erreur 69 habitants pacifiques en faisant exploser des
maisons dans ce village de Jordanie. Cela a compliqué pour longtemps
les relations d’Israël avec l’ONU et les USA mais n’a pas mis
en doute la lutte des israéliens pour leur existence et leur Etat.
Notre situation est similaire. Nous n’avons pas d’autre pays que
l’Ukraine. Donc, la guerre contre ceux qui veulent nous prendre
notre maison et la donner à gérer à Poutine est une action logique
et parfois cruelle. Plus le travail de l’Etat sera efficace, moins
de personnes périront dans cette guerre.
Un texte traduit par Natalia Ostach
¹ Berkout : forces spéciales servant de police
antiémeute, dépendantes du Ministère de l’Intérieur ukrainien
² Titouchkas : hooligans suspectés d’être
rétribués par le gouvernement
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