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jeudi 10 juillet 2014

Comment les séparatistes ont perdu le soutien populaire dans l'Est de l'Ukraine [+ la chute de Sloviansk]

Notre contributeur a rencontré dimanche des réfugiés du Donbass installés à Kiev. Ils expliquent le soutien initial de la population de la région aux séparatistes et les raisons de sa déception. 


L'organisation " Kiev Est Enfants ", m'a invité à passer la journée de dimanche en compagnie de réfugiés du Donbass. Cette organisation a été créée par un groupe de volontaires pour aider les familles de réfugiés à s'installer à Kiev. A l'occasion de la fête traditionnelle slave de Ivana Kupala, ils ont donc organisé un pique-nique dans un parc dans les environs de la capitale. 

Une quinzaine de familles étaient présentes. Il y avait des gens de tous les horizons - une jeune journaliste, venue à Kiev parce que les républiques auto-proclamées de Donetsk et de Lougansk ferment les agences de presse indépendantes; une entrepreneur dont les affaires ont souffert, et qui ne veut pas que sa fille soit en danger dans une zone de guerre ; des activistes pro-ukrainiens menacés de mort... 

Les raisons du soutien initial aux séparatistes 
D'après leurs récits, au début des événements (en mars), les séparatistes bénéficiaient du soutien d'une partie de la population qui voulait " revenir en URSS ", dont le symbole pour eux est Moscou. Les raisons pour cette nostalgie de l'URSS sont nombreuses, mais on m'en a citées deux principales. 
Tout d'abord, le niveau de corruption dont souffrait ces régions n'a pas permis aux population de voir les avantages du système capitaliste. Les années 90 ont été caractérisées par une véritable " guerre des gangs ", dont un clan est sortit vainqueur pour ensuite asseoir son pouvoir sur l'économie de la région et son administration. Il n'était pas possible pour les gens " non connectés " de garder leurs entreprises si elles étaient profitables, et cette situation a empiré avec l'arrivée au pouvoir de Ianoukovitch. Par exemple, une personne m'a aujourd'hui raconté qu'elle a vu des entreprises poussées à la faillite par des moyens administratifs abusifs, afin de permettre aux entreprises " connectées " de se retrouver en situation de monopole. 
D'un autre côté, les oligarques de la région se sont appropriés la quasi-totalité des profits, et n'ont pas réinvesti. Ce manque d'investissement mène par exemple régulièrement à des accidents mortels dans les mines. Une grande partie de ces mines n'était d'ailleurs pas " légales ", mais continuait de fonctionner grâce à la corruption, au plus grand bénéfice des barons locaux, qui pouvaient acheter leur production à des prix dérisoires pour ensuite la revendre aux prix mondiaux. Ainsi, le système capitaliste a été associé par beaucoup au banditisme, à la corruption, à la pauvreté et à l'absence de perspective. Dans ces conditions, l'URSS apparaissait comme un meilleur modèle. 
La deuxième raison est la proportion de russes ethniques dans ces régions. Elles étaient peuplées en majorité d'Ukrainiens avant Staline, mais après la guerre il a déplacé les populations pour repeupler ces régions avec des Russes, dans sa tentative d'éradication du nationalisme ukrainien. Les liens forts avec la Russie ont fait que les populations étaient plutôt tournées vers Moscou, et regardaient les médias russes. Ils étaient donc persuadés qu'en Russie les gens vivent mieux, et étaient abreuvés d'une vision critique de l'Ukraine. En outre, depuis quelques années, la propagande visait à faire croire aux gens que le Donbass " nourrissait " le reste du pays, ce qui est faux, le Donbass bnéficiant de divers transferts du gouvernement central. 
L'absence de perspective, la stagnation économique, le banditisme, et un fort ressentiment contre l'Ukraine (qu'est-ce que l'Ukraine nous a donné ?), renforcé par les médias russes, expliquent le sentiment pro russe et la nostalgie de l'URSS chez une partie de la population. Ainsi, quand le Crimée a rejoint la Fédération de Russie sans effusion de sang, une partie des habitants du Donbass a espéré que la même chose serait possible pour leur région. 
Il faut souligner que toute la population ne pensait pas comme cela. Les catégories sociales les plus vulnérables, comme les ouvriers, les retraités et les chômeurs étaient plus ouverts à cette logique, alors que les entrepreneurs et les classes éduquées comprenaient qu'un rattachement à la Russie ne résoudrait en rien leurs problèmes. Ces derniers savaient être en face d'un problème de gouvernance, et ils pensaient qu'un rattachement au monde occidental aiderait à le résoudre. Et ce schisme existait parfois au sein même des familles.  
Le début des événements 
Après la Crimée, le Donbass était prêt à faire sécession. Ceci a commencé avec l'organisation de manifestations en face des administrations et mairies dans plusieurs villes clés de la région. Les témoins à qui j'ai parlé aujourd'hui m'ont dit avoir vu lors de ces manifestations beaucoup de voitures russes, qui trahissaient la présence d'un grand nombre de " touristes de Poutine ", dont le travail était d'amorcer le mouvement. La Russie s'attendait à ce que les populations locales 'y joignent et légitiment ainsi les occupations de bâtiments publics et l'organisation de référendums pour la création de républiques indépendantes. 
Assez rapidement, plusieurs villes ont été tenues par les rebelles, et les populations locales protégeaient même les séparatistes contre les timides tentatives de l'armée ukrainienne pour rétablir l'ordre. On se souvient tous de ces tanks arrêtés par des foules de civils, et même de quelques tanks capturés par les séparatistes. Cela nous mène au référendum du 11 Mai.  
Le référendum et le discrédit des séparatistes 
J'ai eu des opinions divergentes quant à la participation réelle aux référendums. Ici encore, il semble qu'il y ait une différence en fonction des catégories sociales. Les ouvriers, les retraités, les chômeurs et les classes vulnérables auraient voté avec un taux de participation raisonnable, alors que les classes éduquées auraient boycotté le référendum. Mais tous s'accordent pour dire que ce référendum fut très mal organisé, les listes électorales n'étant pas à jour, et chacun pouvait voter plusieurs fois. 
Les problèmes des séparatistes ont commencé après le référendum, car c'est à partir de ce moment que les populations ont compris qu'ils ne pourraient remplir leurs promesses, et notamment celle de rattachement à la Russie. En effet, assez tôt, la Russie a fait comprendre que le Donbass ne serait pas rattaché à la Fédération de Russie, au contraire de la Crimée. En outre, il devint assez rapidement clair que ces pseudos républiques n'avaient pas les moyens d'organiser un Etat.  
En outre, l'opération antiterroriste ukrainienne, commencée mi avril, bien que lente au début, est devenue plus efficace après le référendum et a forcé les séparatistes à s'organiser pour se défendre. C'est alors qu'ils ont commencé à maltraiter les populations qu'ils étaient censé protéger. Ils réquisitionnaient des voitures, des appartements pour les " besoins de la république ". Des témoins ui ont vu entrer des hommes en armes voulant s'installer dans leur salon pour observer des endroits stratégiques et installer des snipers. Ces gens se conduisaient comme des occupants, bien qu'une partie d'entre eux soient Ukrainiens, et transformaient des lieux résidentiels en lieu de combats. 
Les vols visant les entreprises opérant dans la région ont aussi contribué à retourner la population contre les séparatistes. Par exemple, ces derniers détournent régulièrement les livraisons de nourriture, ce qui se traduit pour la population par des difficultés d'approvisionnement. On peut dire la même chose pour les transports de fond, qui empêchent les banques de fonctionner... 
Il y a enfin les problèmes de sécurité. Dans un état sans police, livré aux groupes armés, les gens n'osent pas faire ne serait-ce qu'une insignifiante remarque dans la rue, de peur de se faire tuer ou tabasser.  
La situation actuelle 
Au milieu de la journée, un des réfugiés a reçu un coup de fil d'un ami de Donetsk, qui disait qu'à ce moment Donetsk était le théâtre de batailles... entre séparatistes. Les prorusses ayant fui des villes comme Sloviansk se sont repliés sur Donetsk, et ces nouveaux groupes se battent maintenant avec les groupes qui les précédaient, pour gagner le contrôle de bâtiments clés. Dans les rues principales de Donetsk, il n'y a plus que des hommes en armes, les civils restant chez eux.  
Malgré les progrès enregistrés récemment par les forces ukrainiennes, les personnes à qui j'ai parlé n'étaient pas optimistes quant à une normalisation rapide de la situation dans le Donbass. En effet, les entreprises ont fui la région, et donc une fois l'ordre rétabli, la région risque de faire face à une crise économique grave.









The Ukrainian army has been building up a presence around Sloviansk


La chute de Sloviansk, tournant de la guerre entre l'armée et les séparatistes

Sur la route, un visage connu. Taguir, un combattant séparatiste de Sloviansk, est là, à plus de trente kilomètres de sa base, au checkpoint de Kostiantinovka. Lui et quatre de ses camarades s'entassent dans une Lada hors d'âge, suivis par deux autres voitures. Direction Donetsk, au sud.

Taguir, toujours d'un calme olympien, a l'air perdu. Ce matin du 5 juillet, il a reçu l'ordre implacable : « Evacuation ». Pourquoi ? Dans quel but ? Il n'en sait rien, mais la rumeur qui courait depuis le matin commence à prendre forme : Sloviansk s'est rendue, les séparatistes qui l'occupent prennent le large.
La chute de Sloviansk marquerait un tournant majeur dans la guerre qui oppose Kiev aux séparatistes armés qui tiennent une partie de l'Est ukrainien. C'est à Sloviansk que cette guerre a commencé, il y a près de trois mois, qu'un commando armé est apparu, le 12 avril, pour prendre la ville, bientôt imité dans d'autres villes par un nombre croissant de combattants locaux et venus de Russie. Ce jour-là, la colère qui grondait dans le Donbass depuis l'arrivée au pouvoir des révolutionnaires de Maïdan est devenue insurrection armée.
Sloviansk « ville héros », comme on la surnomme dans l'Est en référence aux cités soviétiques dévastées pendant la seconde guerre mondiale ; ville martyre, encerclée et assiégée depuis deux mois, soumise à un assaut furieux de l'armée ukrainienne et dont la population – 110 000 habitants en temps de paix – paie un lourd tribut à la guerre.
« ADIEU À POUTINE, QUI N'EST PAS VENU »
Plus au nord, c'est une colonne de séparatistes d'une tout autre ampleur que l'on croise. Vingt autobus communaux de la ville de Kramatorsk, remplis d'hommes armés. Des camions, un canon et encore des voitures. Ceux-là quittent Kramatorsk, une autre place forte séparatiste, à quelques kilomètres au sud de Sloviansk.
Deux hommes regardent passer la caravane sur le bord de la route. Eux aussi ont reçu l'ordre de partir, mais ils restent là, seuls avec leurs kalachnikovs.
« C'est notre ville, nous la défendrons jusqu'au bout. Dites salut au monde de notre part, et adieu. Adieu à Poutine, qui n'est pas venu. »
Comment un tel convoi peut-il circuler sans être attaqué par l'aviation ukrainienne ? La reddition puis la fuite des séparatistes auraient-elles été négociées avec Kiev ? Sans doute pas.
Pour le comprendre, il faut continuer sur la route du nord. Plus une voiture. Les checkpoints séparatistes ont été abandonnés en catastrophe, la nourriture encore dans les gamelles. A 1 kilomètre de la ville, le barrage ukrainien, installé là depuis le début de mai, a été attaqué dans la nuit par un groupe de séparatistes qui cherchaient à quitter la ville.
Le combat a été violent : l'asphalte est parsemé de cratères, de douilles, de sang. Cinq blindés gisent, éventrés. A l'intérieur d'un transport de troupes, un combattant séparatiste est mort dans l'explosion du véhicule. Son crâne s'est encastré dans le moteur. Trois autres cadavres gisent à ses pieds.
Les soldats ukrainiens, certains en uniforme, d'autres en tongs et en short, assurent avoir repoussé l'assaut, au prix d'un tué et de trois blessés dans leurs rangs. La communication est chaotique, ces hommes ne savent pas qui tient la ville.
La route est minée, il faut prendre les petites routes qui contournent Sloviansk par le sud-ouest. Là un autre barrage ukrainien. Les hommes lèvent le poing en signe de victoire : Sloviansk est tombée. Les soldats ont commencé à ratisser la ville. Toute la journée, les bruits de fusillade et d'explosion se poursuivront. Les habitants se terrent, pas un magasin n'est ouvert.
LE SIÈGE DES SÉPARATISTES VIDÉ
A un carrefour désert, une femme lève le bras, à la recherche d'une voiture qui pourrait s'arrêter. C'est Irma Krat, une journaliste et activiste célèbre de Maïdan, capturée par les séparatistes à la mi-avril alors qu'elle tournait un direct pour la chaîne ukrainienne 112.
Son corps, des pieds à la tête, est pris de tremblements. Le matin même, des habitants ont ouvert la porte de sa cellule, dans la cave de la mairie. Les geôliers étaient partis sans un mot, Irma se demandait seulement pourquoi on ne lui apportait plus à manger.
Elle cherche maintenant à sortir de la ville, tenant serré contre elle un gros cahier : le récit de sa détention, qu'elle a écrit en cachette. Sur la couverture, un avertissement : « Si vous trouvez ce livre, c'est que je suis morte. Mais ce n'est pas si important. S'il vous plaît, faites-le parvenir à mon mari. »
Dans la rue Karl-Marx, voilà le siège du SBU, les services de sécurité ukrainiens, pris le 12 avril par le commando prorusse. Une partie du bâtiment de brique rouge s'est consumée dans un début d'incendie. C'est là qu'était installé l'état-major militaire des séparatistes de Sloviansk. Là aussi que transitaient leurs prisonniers – activistes pro-ukrainiens, journalistes, simples citoyens. La garde nationale vient d'investir les environs. Personne n'a encore pénétré dans le bâtiment.
Dans le rez-de-chaussée noirci, les bureaux des officiels de la « République populaire de Donetsk ». On cherche sans le trouver celui d'Igor Strelkov, le maître de la ville, en qui Kiev voit un agent du renseignement militaire russe. Les documents officiels sont éparpillés un peu partout. Dans un coin, un petit carnet : une liste des différents commandants de Sloviansk, et des pages et des pages noircies à la main – tout un cours de physique sur les explosifs.
Les caves du SBU. L'une d'elles faisait office de cellule. Trois matelas humides jetés à même le sol, des bols encore remplis de bouillon de poulet. Des chaussettes pendent dans un coin, des Bibles ont été abandonnées. Où sont les otages ? Nul ne le sait. D'autres pièces ont été vidées. Une femme arrive, à la recherche de Vassili Nesterenko, le mari de sa sœur, capturé alors qu'il apportait des vivres à l'armée ukrainienne. Il n'a pas réapparu depuis le 6 mai.
« VOUS ALLEZ TOUS NOUS TUER ? »
L'armée ukrainienne approche désormais du bâtiment. Un habitant venu en curieux est attrapé, interrogé. Les blindés pointent leurs canons vers l'édifice, une cinquantaine de soldats se positionnent, armes pointées vers les immeubles alentour. L'un d'eux a encore la tête ceinte d'un bandage. « Est-ce qu'il y a des terroristes à l'intérieur ? » crie le commandant. Non loin, les explosions continuent de retentir. Le premier étage serait miné. Il sera partiellement détruit par une charge explosive posée par les Ukrainiens.
Maintenant, les soldats déchirent rageusement les affichettes de la « République populaire de Donetsk » posées sur le bâtiment. Depuis l'humiliation des débuts de « l'opération antiterroriste », quand, à quelques kilomètres de là, des soldats hagards et noirs de crasse se faisaient arrêter par des foules de civils, l'armée a souffert, avant de relever la tête. Plus de deux cents soldats sont morts, selon le décompte du ministère de l'intérieur.
Une autre femme s'approche, hagarde. « Vous allez tous nous tuer ? » Elle croit s'adresser aux membres de la garde nationale, l'une des unités militaires entrées dans la ville, formée par des volontaires et qui alimente tous les fantasmes.
Loussia, 28 ans, a peur de rentrer dans son quartier encore sous les bombes. Peur de tout, à vrai dire. Elle était « pour l'Europe », n'a pas voté au référendum d'autodétermination organisé par les séparatistes le 11 mai. Mais elle ne sait pas encore si elle doit se réjouir de leur départ : « Tant qu'ils étaient là, j'ai survécu. Il est trop tôt pour penser à la suite. » D'autres habitants sont venus féliciter les soldats.
Sur l'immense parvis qui fait face à la mairie, ceux-ci sont désormais occupés à entasser des dizaines de caisses et de tubes métalliques. Des armes lourdes, extraites une à une du bâtiment abandonné en catastrophe, celui-là même où était détenue Irma Krat : lance-grenades, bazookas, lance-missiles…
Valeriï Gueleteï, le ministre de la défense tout nouvellement nommé, est arrivé. Il assure que les armes trouvées ne sont pas de fabrication ukrainienne, que leur provenance sera bientôt éclaircie.
LA BATAILLE DE DONETSK SE PROFILE
Les plaies de Sloviansk seront longues à cicatriser. La ville a souffert plus qu'aucune autre. La plupart des édifices importants sont détruits. Beaucoup d'immeubles d'habitation portent les stigmates des bombardements de l'armée ukrainienne.
Un habitant tient dans sa main de petites fléchettes métalliques de la taille d'un clou. Il en a ramassé « un demi-seau » rien que dans son appartement, éparpillées, dit-il, après l'explosion d'un obus ukrainien.
Difficile de savoir à qui imputer les tirs qui ont ravagé la ville. L'armée, mais aussi plusieurs habitants, assurent que les quartiers résidentiels atteints étaient ceux d'où tiraient les séparatistes. Sans compter les bavures des deux côtés. Des appartements entiers sont effondrés.
Depuis le mois d'avril et à mesure que les combats gagnaient en intensité, la ville s'est vidée. Ceux qui sont restés vivent depuis un mois sans eau, sans électricité, avec un ravitaillement minimal. Un officier assure qu'une aide humanitaire importante va arriver rapidement en ville.
Mais l'armée, comme les séparatistes, ont sans doute en tête l'étape d'après. La bataille de Donetsk se profile. Les colonnes aperçues le matin, mais aussi des tanks, et encore des centaines d'autres combattants prorusses sont entrés dans la grande ville d'un million d'habitants. Au checkpoint de Kostiantinovka, un tracteur a fait son apparition. Le champ qui borde le barrage est désormais fendu d'une large tranchée.
 

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