l'hypocrisie, la bêtise et le silence de l'élite intellectuelle, des artistes, des scientifiques et des médias face à l'avancée des régimes totalitaires nazi et stalinien resteront à jamais dans nos mémoires, resteront à jamais l'un des tristes souvenirs du XXe siècle. […] Aujourd'hui, l'Europe garde le silence devant la politique impérialiste agressive de Vladimir Poutine. L'Occident tolère en silence sa politique agressive, qui viole explicitement la souveraineté d'autres Etats : celle de la Moldavie, celle de la Lettonie, celle de la Géorgie, et – surtout – celle de l'Ukraine.En Roumanie, le redacteur en chef de Dilema Veche, Mircea Vasilescu, prend position aussi, et explique que le président français “François Hollande a motivé sa décision de livrer un navire militaire par le fait que, s’il ne le faisait pas, la France allait devoir rendre à la Russie 1, 1 milliard d’euros. C’est cela, le prix du renoncement aux principes et aux valeurs?”
“Comment, se demande-t-il, la parole de la France compte plus face à Poutine que face aux 500 millions des citoyens européens ?”. Pour Vasilescu,
Poutine n’en fait qu’à sa tête, et les pays de l’UE se comportent comme des enfants qui se rejettent la faute l’un sur l’autre. Quid des principes et des valeurs de la démocratie ?Devant l’hésitation des Européens, Michnik voit une seule solution :
nous – intellectuels, journalistes, scientifiques – avons le devoir d'être vigilants, et d'alerter l'opinion publique. Nous devons être les oies du Capitole de notre temps. Nous ne devons pas succomber aux vieilles illusions, nous devons refuser notre conformisme confortable. Notre devoir est désormais de parler clairement, et aujourd'hui avec énergie.A commencer, peut être, par ne plus “identifier M.Poutine à la nation russe”, puis, en considérant “le conflit actuellement en cours avec l'Ukraine, qui a débuté avec l'annexion de la Crimée, et les provocations permanentes menées dans l'est de ce pays”, comme étant “honteux, tragiques, et dangereux”. Enfin, en admettant “que Vladimir Poutine n'est pas un homme politique à l'européenne. [Il] pratique l'aventurisme permanent. […] Il a déjà ouvert la boîte de Pandore”.
VoxEurop
MAJ 07/09/2014 : très bonne tribune de Françoise Thom dans le Monde :
« L'Occident inepte face à la crise ukrainienne »
Notre propos n'est pas ici d'évoquer la tragédie du peuple
ukrainien, qui lutte seul pour s'arracher à l'orbite mortifère de
son voisin plus fort et acharné à sa perte. C'est un autre
spectacle affligeant qui nous inspire ces réflexions amères. Celui
de l'Europe et des Etats-Unis tétanisés devant Vladimir Poutine
comme un lapin face à un boa. Que nous apprennent en effet la crise
ukrainienne et la longue complaisance dont les Occidentaux ont fait
preuve à l'égard de l'autocrate russe ?
D'abord que nous avons perdu le sens moral. La vénalité
encouragée par le Kremlin au sein de nos élites porte ses fruits
aujourd'hui : l'argent russe empêche les Européens d'agir, il
empêche même la cristallisation d'une perception claire de la
politique russe. Les réseaux de désinformation russes enfument
littéralement le monde entier. M. Poutine ment depuis des mois, et
nul ne semble choqué des affabulations grotesques dont nous régale
le Kremlin. Les hommes verts en Crimée ont acheté leurs armes au
supermarché du coin. Bien sûr il n'est pas question d'annexer la
Crimée. Les soldats russes en Ukraine ? Ils se sont égarés par
hasard. Pardon, ils sont en vacances et ont choisi de bronzer à
Novoazovsk. Nous nous laissons mentir en pleine figure et comme nous
sommes lâches nous en redemandons. Mme Merkel téléphone et réclame
à M. Poutine des explications sur la présence de commandos russes
sur le territoire ukrainien.
Comme la morale appuie l'intelligence, il n'est pas étonnant que
la dégénérescence du sens moral entraîne la confusion mentale. Le
premier indice est que nous ne réalisons même pas le danger dans
lequel nous sommes face à un dictateur ivre de puissance équipé de
l'arme nucléaire. Nos nouvelles abondent de frivolités diverses qui
éclipsent largement le drame ukrainien. Quand il est question de
l'Ukraine, on s'empresse de donner la parole aux poutiniens de
service et de les opposer à ceux qui essaient d'expliquer ce qui se
passe sur le terrain, comme si le point de vue de propagandistes
était équivalent à celui de témoins. Tout cela contribue à
entretenir une confusion dans les esprits qui ne bénéficie qu'au
Kremlin, puisqu'elle aboutit à une paralysie de la volonté.
Pis encore, il semble que nous ayons perdu jusqu'à l'instinct de
conservation. Car comment expliquer autrement que la France fournisse
des Mistral équipés d'une technologie de pointe à la Russie alors
que pour la deuxième fois celle-ci est en train de déchiqueter un
pays coupable de vouloir être libre, M. Poutine ne cachant même
plus son intention de créer un Etat à l'est de l'Ukraine ? La
signature de ce contrat après l'agression russe contre la Géorgie
était déjà scandaleuse. La crise ukrainienne d'aujourd'hui est le
résultat de notre fatale indifférence aux événements d'août
2008, de notre aveuglement volontaire face à tous les symptômes
inquiétants que présentait la Russie poutinienne depuis le début.
Imagine-t-on qu'en 1938, après l'annexion des Sudètes, la France
ait vendu des bombardiers de dernière génération à Hitler et
formé les officiers de la Luftwaffe ? On peut trouver des excuses à
la lâcheté, mais quand on passe à la complicité active avec
l'agression il s'agit d'autre chose. N'oublions pas qu'au moment où
des soldats russes envahissent l'Ukraine des marins russes reçoivent
un entraînement en France. L'affaire des Mistral restera sans doute
dans l'histoire comme un exemple cruel du somnambulisme de nos
dirigeants postmodernes.
DES MESURES ABSURDES
Ce qui frappe dans l'enchaînement des événements de ces
derniers mois, c'est l'extraordinaire crescendo à la fois dans les
coups de force, la légifération et les propos du Kremlin, en
politique extérieure et en politique intérieure. On a l'impression
que la machine s'emballe. M. Poutine n'a pas fini de régler ses
comptes à l'Ukraine que déjà il laisse entendre que l'est le
prochain au menu : le 29 août il félicite le président Nazarbaïev
d'« avoir créé un Etat là où il n'y en avait jamais eu » – propos
qui suscita une vive réaction au Kazakhstan, et non sans raison,
quand on se souvient que Poutine a nié l'existence de la nation
ukrainienne pour justifier son agression contre Kiev.
Chaque jour, la Douma vote des mesures absurdes, et les
propositions les plus délirantes sont examinées quotidiennement.
Les députés cherchent fiévreusement à colmater les innombrables
fissures par lesquelles pénètre la pernicieuse influence
occidentale. C'est ainsi que les sous-vêtements en dentelle sont
victimes d'un embargo, tandis que des patriotes particulièrement
ardents préconisent d'interdire l'étude des langues étrangères
pendant dix ans. La liste des traîtres et des « agents de
l'étranger » ne cesse de s'allonger : aux citoyens titulaires d'une
double nationalité viennent de s'ajouter les associations de mères
de soldats. La Russie semble être aspirée dans une spirale
autodestructrice. L'opposition, découragée par la passivité de
l'Occident, incapable de résister à la surenchère nationaliste,
assiste impuissante à la course au précipice.
La Russie nous tient paralysés parce qu'elle laisse entendre
qu'elle est prête à faire n'importe quoi, qu'elle ne s'arrêtera
devant rien. Au lieu de tenir tête à ce chantage, nos dirigeants
occidentaux clament qu'ils excluent toute option militaire. Venue en
Ukraine prétendument soutenir le président Porochenko, Angela
Merkel a cru bon d'annoncer que l'Allemagne n'armerait pas l'Ukraine,
ne financerait pas la reconstruction du Donbass et n'imposerait pas
de sanctions dans l'immédiat. Le message a été compris par le
président Poutine, qui a relancé l'offensive.
Il y a quelque chose de suicidaire dans l'ineptie occidentale. On
dirait qu'émasculé par le politiquement correct le monde occidental
éprouve une louche attraction pour la violence primitive qu'incarne
l'autocratie russe. Incapable de distinguer le juste et l'injuste, le
vrai et le faux, il est aspiré par l'univers de force nue incarné
par Vladimir Poutine et ses janissaires. L'indifférence au sort de
l'Ukraine reflète l'oubli des vertus sur lesquelles s'était
construite l'Europe.
- Françoise Thom ( Maître de conférences à Paris-IV - Sorbonne,
auteure de «Beria, le Janus du Kremlin», Editions du Cerf, 2013)
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