Depuis 15 ans, depuis qu’il est revenu au pouvoir pour redonner à la
Russie sa grandeur, sa puissance et sa gloire d’antan, tout réussissait
à Poutine, cet ancien officier du KGB, institution de formation
spécialisée dont on connait la qualité de l’enseignement.
Mais, depuis les Jeux de Sotchi, qui devaient affirmer aux yeux du monde
ébahi « que la Russie éternelle était de retour », tout rate, sur tous
les plans. C’est la scoumoune. Mais qu’a donc fait le malheureux pour
mériter une poisse aussi persistante ?
En fait, un phénomène bien connu, parfaitement banal. Wladimir a eu les
yeux plus gros que le ventre ou, en termes plus nobles, une crise
inopportune d’Hubris, ce vertige qui prend subitement les autocrates
quand ils se sentent trop sûrs d’eux-mêmes.
Rappelons-nous. Avec la hausse du prix du pétrole et une croissance à 5%
l’an, tout lui paraissait enfin possible, à portée de la main : la
perspective de faire à nouveau jeu égal avec l’ Amérique, ce rival
détesté ; restaurer l’ancien empire soviétique injustement perdu,
Ukraine comprise ; rétablir l’influence russe sur des voisins dûment
impressionnés, voire terrorisés, pays Baltes, Bulgarie, Géorgie,
Moldavie, Pologne, Arménie, Azerbaïdjan, Kurdistan et j’en passe. On
allait voir ce que l’on allait voir.
Et le voilà réduit aujourd’hui comme le fait un grand pays de l’Asie du
Sud- Est, la Corée du Nord, à agiter périodiquement le grelot nucléaire,
comme un enfant avec son hochet, pour faire peur à ses voisins ou à
envoyer des centaines de tanks lourds vétustes s’embourber pesamment
dans la tourbe des frontières de la Russie avec les pays voisins.
Un pays qui en est réduit à essayer d’effrayer son voisinage n’a plus
beaucoup de cartes à jouer. Et c’est bien le cas. Car la Russie de
Poutine ne fait plus peur, Elle n’impressionne vraiment plus. Rattraper
les USA est devenu clairement un rêve chimérique. La Russie a été
ramenée au rang d’une puissance purement régionale. Elle ne pèse guère
sur tous les plans, militaire, économique, géopolitique, pas plus de 10 %
et encore des Etats-Unis, ou même de la Chine. Tout le sait , sauf
Wladimir Poutine.
***
Malheureusement un dirigeant autocratique, comme le président Poutine
qui veut rester au pouvoir, en l’absence de processus de renouvellement
démocratique, comme dans les pays occidentaux arriérés, ne peut faire
que deux choses, sauf à s’envoler dans les airs.
La première est de forcer sur le développement économique et la
croissance de façon de procurer aux populations locales une amélioration
sensible de leur niveau de vie et d’en obtenir en retour leur
reconnaissance pour des dirigeants si malins et avisés.
L’autre, celle que le malheureux Poutine a adopté faute de mieux, est
de flatter le nationalisme toujours frétillant des Russes en faisant de
grandes démonstrations de puissance militaire en montant de temps à
autre de gigantesques manœuvres militaires , Cela consomme un peu de
carburant bien sûr, mais la Russie en a en abondance. Et puis cela fait
tellement plaisir à peu de frais au public russe toujours friand de
défilés avec fusées super longues aux flancs rebondis et bottes bien
cirées claquant joyeusement sur le pavé moscovite. Cela fait chaud au
cœur, surtout en hiver par temps glacial.
Autre variante , rappeler à tout propos que la Russie est une grande
puissance nucléaire et qu’elle pourrait , si le cœur lui en disait, sur
un coup de tête, comme d’un revers de patte , écraser une bonne partie
de la planète sous une pluie de bombes . En oubliant au passage de
préciser que, dans cette hypothèse, la Russie elle-même serait réduite
à un champ de ruines fumantes. Mais ce sont là des mots qui fâchent.
L’autre branche de l’alternative aurait été d’améliorer le niveau de vie
des Russes avec le développement des transports urbains, des logements,
de la santé, des personnes âgées, bref, tout ce dont les Russes
manquent cruellement et qui pourrait contribuer à faire d’un pays semi
développé comme la Russie une nation capable de rivaliser avec n’importe
quel pays occidental. Mais pour cela, il faut des ressources, beaucoup
de ressources, et sur la longue durée.
Or, patatras, ces ressources la Russie ne les a pas , ou plus
précisément , ne les a plus. Depuis une dizaine d’années, les cours du
pétrole n’avaient cessé de d’être orientés à la hausse. Or on sait que
la Russie tire près de la moitié de ses exportations du pétrole et du
gaz naturel, ce qui finance également la moitié de son budget. Le
malheur veut que cette structure des ventes à l’étranger est très
caractéristique de celle d’un pays semi développé de type africain.
C’est une prospérité très factice, très fragile, très dépendante de la
conjoncture à l’étranger. Que les cours fléchissent et voilà le
budget et la balance commerciale par terre. Et c’est bien ce qui s’est
passé depuis un ou deux ans
Les fameux Jeux de Sotchi ont coûté , rappelons-le, horriblement cher :
plus de 50 milliards de dollars. Tout le monde les a oublié aujourd’hui.
Au surplus, ils n’ont servi rigoureusement à rien. Ce sont des
investissements de prestige totalement gaspillés. Ils n’ont rien
rapporté ; aucun dividende. Car on imagine mal les Suisses, les
Français ou les Allemands, déserter les stations modernes et ultra
confortables des Alpes toutes proches, pour aller patauger dans la
neige au loin dans des installations rustiques au confort rudimentaire .
Alors il faut compter sur les touristes russes. Mais ils sont peu
nombreux. Et de toute façon, ils n’aiment pas skier. Les sports d’hiver,
pour eux, se ramènent à boire de la vodka assis dans la toundra, à côté
de leur 4/4, en dévorant du saumon cru et des tranches de concombre
frais (voir sur ce point l’excellent livre de Sylvain Tesson « Dans
les forêts sibériennes »).
Donc Poutine a consenti un investissement de prestige énormément coûteux
et parfaitement inutile au moment précis où les ressources de la Russie
viennent à se tarir. Ce n’est quand même pas de chance.
Car les sanctions occidentales mises en place pour punir la Russie de
ses fâcheux agissements en Ukraine commencent à faire leur effet peu à
peu.
Il y a bien les Chinois et le fameux contrat de 500 milliards de yuans
signé à la hâte pour « punir » l’Occident. Mais ce n’est pas pour demain
. Et de toute façon, ce contrat de rêve est très largement de
l’esbroufe à l’usage des journalistes occidentaux toujours prompts à
avaler n’importe quelle coquecigrue toute crue. Les Chinois, on le sait,
ne sont pas des tendres en affaires. La Russie risque fort de sortir
perdante de ce « fabuleux » contrat.
En attendant, les investissements étrangers bien nécessaires se font
rares, les capitaux étrangers et russes fuient à tire d’aile à
l’étranger. En conséquence le rouble a perdu plus du quart de sa valeur
depuis le début de l’année et l’économie russe menace de sombrer dans la
récession.
Du coup, l’augmentation de 30 % du budget militaire russe escomptée
devient une vraie gageure. Or, comment faire peur à ses voisins quand on
a du matériel militaire qui date du temps de Louis XIV ou presque.
Certes, il y en a beaucoup, trop peut-être. On ne sait plus où le
mettre. Mais il est mal entretenu et totalement démodé. Sans compter
que la moitié des soldats russes sont perpétuellement entre deux vins,
enfin entre deux vodkas. L’accident stupide dans un aéroport de Moscou
qui a coûté la vie à Christophe de Margerie est là pour nous rappeler
que ce terrible problème de la vodka affecte à des degrés divers tous
les secteurs de la société et de l’économie, transports aériens y
compris
***
Le malheur veut que les perspectives à terme de la Russie ne sont guère
plus brillantes. Disons-le clairement la Russie d’aujourd’hui est un «
colosse aux pieds d’argile ». Car le prix du gaz et du pétrole, avec le
« fracking » et la découverte de nouveaux gisements, sans compter les
énormes économies à venir sur la consommation d’hydrocarbures, notamment
dans le domaine des transports , va inévitablement s’orienter à la
baisse. Et tant pis pour les producteurs de pétrole Russie comprise,
qui nous ont tenu la dragée haute pendant si longtemps. Ils seront
réduits inexorablement à la portion congrue et devront réviser
sévèrement à la baisse leurs dépenses budgétaires et leur train de vie.
Au surplus, la démographie de la Russie présente depuis longtemps des
signes de faiblesse structurelle inquiétante avec une fécondité qui ne
se redresse guère. La population russe, qui tourne autour de 140
millions de personnes, risque fort, sur la base des tendances actuelles,
en dépit d’un léger redressement récent, de glisser progressivement
vers 110 millions. Bien plus, l’état sanitaire de la population est loin
d’être satisfaisant avec une espérance de vie anormalement faible pour
un pays, en principe, développé. L’abus d’alcool y contribue largement
avec un taux de mortalité étonnamment élevé (accidents, violences,
maladies). Mais comment tenir un territoire national aussi vaste alors
même que les Chinois colonisent sournoisement une partie de la Sibérie ?
***
Alors, que faire si ce n’est continuer ? Poutine évoque un alpiniste
coincé en paroi qui ne peut ni avancer ni reculer. Il lui faut rappeler
périodiquement son existence à l’Europe et aux Etats-Unis et pour cela
faire comme Kim Jong-Un en Asie du Sud- Est. Ce dernier s’ingénie à
jouer perpétuellement l’empêcheur de tourner en rond, au gamin
insupportable prêt à menacer de dégainer à tous instants son arsenal
nucléaire à la moindre contrariété. Faire de la Russie une sorte de
Corée du Nord au sein de l’Europe. Quelle consécration.
La solution inventée par Poutine est donc d’entretenir sans fin l’abcès
de fixation de l’Ukraine. Et pour cela faire des misères sans fin à ce
pays ingrat qui a refusé de retrouver le grand frère russe qui lui
tendait les bras. Poutine a donc entrepris de fournir sournoisement
hommes et armes aux « séparatistes » du Donbass, en bref, de se rendre
aussi empoisonnant que possible le plus longtemps possible .
Cette démarche est d’autant plus confortable et sans risque que
l’Europe et l’Amérique ne songent pas une seconde à engager un bras de
fer pouvant déboucher sur une confrontation militaire avec la Russie.
Aujourd‘hui l’esprit de Munich plane largement sur une Europe quasi
désarmée cependant qu’aux Etats-Unis le président Obama, désavoué à
mi-mandat par ses électeurs, ne dispose d’aucune légitimité politique
pour engager une action d’une quelconque envergure pour contenir la
Russie.
Les choses pourraient changer avec l’élection d’un nouveau président
américain, dans deux ans, vraisemblablement républicain. En attendant,
Poutine a un boulevard libre grand ouvert devant lui. Il peut se livrer à
une gesticulation militaire débridée sans aucune retenue. Il peut
également créer un état de fait difficilement réversible sans risque
aucun comme il vient de le faire avec l’annexion de la Crimée .
On observera au passage que la Russie a su, très habilement,
éventuellement grâce à de subtils montages financiers, tisser des
réseaux de sympathisants, voire de thuriféraires plus ou moins actifs au
sein de l’Administration française, de l’économie (Christophe de
Margerie), de l’enseignement supérieur (Jacques Sapir),du spectacle
(Gérard Depardieu) et même des partis politiques (le Front national).
Les Russes n’ont pas perdu la main depuis l’Agitprop de naguères.
La perspective de déclencher une « nouvelle Guerre tiède » ne gêne
nullement Poutine, bien au contraire. Car cela permettrait de rassembler
une nouvelle fois autour du maître du Kremlin, sauveur de la patrie
menacée, une population apeurée abrutie par une propagande avisée. Ce
que la Russie a d’ailleurs toujours fait.
***
Après l’effondrement de 1991 lors de la période Gorbatchov/Elstine, on
avait un moment espéré que la Russie se rapprocherait de l’Occident,
qu’elle adopterait un système politique plus ou moins proche de nos
institutions démocratiques et un comportement orienté vers la
coopération et non une confrontation permanente. Dès lors on pouvait
espérer la perspective d’une alternance au pouvoir reflétant les
fluctuations de l’opinion, un certain respect du droit sur le plan
international et sur le plan interne de façon à éliminer l’arbitraire
politique et judiciaire, la liberté de la presse et du droit
d’expression.
Il est clair qu’aujourd’hui Poutine a choisi le parti radicalement
inverse. La Russie ne se rapproche pas de l’Occident. Bien au contraire
elle s’en éloigne chaque jour davantage. Poutine a choisi de faire de la
Russie une nation fière certes , mais perpétuellement revêche et
maussade , drapée son splendide isolement
Sur le pan interne le modèle démocratique occidental a été
définitivement jeté aux orties. Le jeu politique en Russie est une
mascarade qui évoque plus le jeu du culbuto que l’alternance
démocratique en vigueur à l’Ouest. Wladimir Poutine et Dmitri Medvedev
se succèdent en bons compères tous les 5 ans comme Premier ministre ou
Président. Mais la réalité du pouvoir appartient bien entendu à Poutine,
Medvedev jouant avec soumission le rôle ingrat qui lui a été dévolu,
celui d’un homme de paille.
Quant aux libertés publiques et privés, si elles ne sont pas totalement
confisquées, elles sont cependant étroitement contrôlées de façon à ne
gêner en aucune façon les hommes au pouvoir.
Où va Poutine ? Il ne sait pas. Il n’en a aucune idée, l’important étant
de rester à la tête du pouvoir. Le problème est que la politique menée
par Wladimir Poutine condamne à perpétuité la Russie à un sous-
développement relatif. Mais peu lui importe. Et tant pis si la Russie va
tout droit dans l’ impasse.
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