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vendredi 10 juin 2016

Aplaventrisme hexagonal

Poutinisation de la France : l' «amendement Poutine» adopté dans la loi Sapin 2
Après les votes de l'Assemblée nationale et du Sénat demandant la levée des sanctions contre la Russie, voici qu'une nouvelle loi est pondue, pour apaiser Poutine qui fronçait les sourcils. Aplaventrisme de nos élus. Comme d'hab.
 La cathédrale russe de Paris du quai Branly, ici le 19 mars, est l'objet d'une procédure de saisie intentée par les ex-actionnaires de la société Ioukos en conflit avec l'Etat russe. Crédits photo : François BOUCHON/Le Figaro

Une disposition votée dans la loi Sapin vise à mieux protéger les biens d'Etats contre les saisies. Du sur mesure pour la Russie critiquent les uns. Une protection utile contre les fonds vautours rétorquent ses partisans.

Ses détracteurs l'appellent «l'amendement Poutine», ou «l'article Ioukos». Les députés ont adopté jeudi soir, dans le cadre de la discussion en première lecture de la loi Sapin 2 sur la modernisation de la vie économique, un amendement qui vise à mieux protéger les biens des Etats étrangers contre les saisies. Cette disposition a été introduite dans l'article 24 de la foisonnante loi Sapin, à la demande du quai d'Orsay comme le reconnaît la députée Sandrine Mazetier, porte-parole du groupe socialiste sur le texte. L'élue PS avait retiré cet amendement, lors de l'examen en commission de loi, car elle y voyait «un obstacle à l'exécution de la chose jugée», explique-t-elle au Figaro. Mais l'amendement controversé a été réintroduit en séance par le gouvernement, et adopté jeudi soir.

Menaces de Moscou

La mesure est surnommée «amendement Poutine» car elle est déposée au moment où les tentatives de saisies se multiplient en France contre des biens appartenant à l'Etat russe (l'église orthodoxe en construction à Paris par exemple) ou à des sociétés publiques russes (des actifs de la société spatiale Roscosmos). Ces procédures sont intentées par les ex-actionnaires de la société Ioukos qui avaient obtenu en juillet 2014, devant une cour internationale d'arbitrage de La Haye, la condamnation historique de la Russie à payer 50 milliards de dollars.
Or, une jurisprudence, vieille de trente ans, rend en théorie les saisies de biens d'Etats étrangers plus faciles en France que dans la plupart des pays. Les actionnaires de Ioukos peuvent en effet continuer à faire saisir des biens russes alors même que l'arbitrage «à 50 milliards de dollars» a été annulé par un tribunal de La Haye en avril dernier. L'Etat russe avait menacé la France de représailles contre «toute tentative d'application de mesures conservatoires ou exécutoiresà l'égard de biens russes», dans une note adressée à l'ambassade de France à Moscou, en mars 2015, que Le Figaro a consultée.
«Contrairement à la plupart des pays, on peut obtenir en France l'exécution (l'exequatur, selon le terme juridique) d'une décision annulée» dans le pays où l'arbitrage a eu lieu, explique Sébastien Bonnard, avocat spécialisé dans l'arbitrage chez Brown Rudnick. «Beaucoup de gens s'émeuvent en disant que cet article est lié à l'affaire Ioukos, mais ça ne me choque pas s'il permet de clarifier la définition des biens diplomatiques», immunisés des saisies, «et les conditions d'une renonciation par un Etat à cette immunité», poursuit l'avocat.

Autorisation préalable

Emmanuel Gaillard a une autre lecture de cet amendement gouvernemental. Il est l'avocat français du cabinet américain Sherman et Sterling qui a obtenu, après des années de procédure, cette condamnation historique de la Russie à payer 50 milliards de dollars aux ex-actionnaires de Ioukos. Me Gaillard s'émeut que l'amendement prévoit l'autorisation préalable d'un juge à toute saisie. Aujourd'hui, ses clients de Ioukos peuvent procéder à des saisies, des gels de comptes bancaires par exemple. Dans un deuxième temps, l'Etat visé peut contester la saisie devant un juge. C'est ce qu'a fait systématiquement la Russie ces derniers mois, en obtenant d'ailleurs gain de cause sur l'Eglise russe ou la société Roscosmos. A présent, si l'article 24 de la loi Sapin 2 est maintenu, un juge se prononcera en amont sur le bien fondé d'une saisie. «Si la loi empêche l'application d'une sentence, les sentences n'ont plus de valeur», déplore Emmanuel Gaillard qui trouve «un peu triste qu'on fasse un texte pour faire plaisir à la Russie dans un projet de loi qui n'a rien à voir». Au-delà de l'affaire russe, Me Gaillard fait valoir que des entreprises françaises, engagées dans des procédures arbitrales contre des Etats, en générale pour récuérer des créances, pourraient pâtir de l'article 24 de la loi. C'est le cas de Vicat contre le Sénégal, de Orange contre la Jordanie ou de Veolia contre l'Egypte.

Fonds vautours

La députée Sandrine Mazetier en a pris son parti. Et préfère insister sur une autre disposition de l'article 24 censée protéger les Etats des fonds vautours. Des fonds qui ont racheté de la dette du Congo pourraient tenter de saisir des créances du pétrolier français Total envers l'Etat congolais pour se faire rembourser. La loi Sapin empêchera, explique Sandrine Mazetier, ces fonds de saisir des biens en France appartenant à des pays pauvres, bénéficiaires de l'aide publique au développement.

Le Figaro



En France, le Poutinisme se porte bien

Le journaliste Nicolas Hénin décrypte les diverses motivations des soutiens français à Vladimir Poutine et dessine une géographie de leurs réseaux, qui trouvent des relais dans des endroits parfois inattendus
Par Renaud Rebardy

Depuis la sortie du livre de Nicolas Hénin sur « La France russe » (1), début juin, on a vu le Sénat français voter une motion plus qu’ambiguë appelant à une « levée progressive des sanctions » européennes contre la Russie. Puis on a vu Nicolas Sarkozy se rendre se ranger à cette même idée. C’est donc dire à quel point ce livre est dans l’actualité.
Il existe en France une vaste coalition de Poutinophiles français. Ces membres ont des convictions parfois opposées. Certains sont ainsi très à gauche ou d’autres à l’extrême droite. On y trouve des gens de tous milieux : des hommes d’affaires, un évêque, un quarteron de généraux et beaucoup de militants de différents partis… Mais tous trouvent un attrait à la figure du président russe pour des raisons qui leur sont propres, et qui parfois s’opposent.
Le journaliste Nicolas Hénin a rencontré quelques-uns d’entre eux et dresse un portrait de cette France poutinienne. En chemin, il nous raconte quelques histoires plutôt savoureuses et significatives. Ainsi, il nous révèle comment, l’ancien premier ministre François Fillon avait forcé la main à l’administration française pour faire accepter l’installation, dans le 8e arrondissement de Paris, d’une statue célébrant l’armée russe.
Ce monument devait marquer le bicentenaire de l’entrée de l’armée du tsar dans Paris en 1814, avec les troupes coalisées contre Napoléon. La statue devait figurer un soldat russe tenant son cheval par la bride, avec à ses pieds un amoncellement de munitions et une mitrailleuse. Elle devait être érigée cours La reine, face au Grand Palais, soit le plein cœur de Paris. L’idée avait été inspirée par l’ambassade de Russie.
Apparemment, l’idée de rendre ainsi hommage à une armée d’occupation n’avait pas dérangé. C’est le maire de l’époque, Bertrand Delanoë, qui a eu une attaque en découvrant la chose et catégoriquement bloqué ce projet farfelu.
Nicolas Hénin révèle aussi le contenu d’une note interministérielle confidentielle sur l’activité des services de renseignement russe en France. Elle estime que la moitié des diplomates russes à Paris sont membres des services secrets, soit une bonne centaine de personnes.
Elle situe en 2008 l’année du début d’une offensive des services russes en France. Selon cette note, leur but est d’y créer un lobby, de diviser les opinions publiques, mais aussi les pays européens entre eux. Ce travail a porté ses fruits. Mais n’a pas empêché le président François Hollande de bloquer la vente des navires « Mistral », si ardemment voulus par la Russie, et finalement livrés à l’Égypte il y a quelques jours…
Le livre apporte aussi un bon décryptage de la stratégie russe sur les réseaux sociaux. Il nous montre comment des sites russes, richement dotés, aidés d’une armée de « trolls de Poutine », tentent de créer la confusion dans l’esprit du public français. Les Russes nomment cela « maskirovka », l’action cachée.
Il s’agit pour les agents de cette action de créer le doute, de faire en sorte que les lecteurs n’aient plus confiance dans ce qu’ils lisent, au point d’en perdre le discernement, de jouer sur la méfiance, de plus en plus grande, qui existe à l’égard de nos élites. Cette « spetspropaganda » (propagande spéciale) est un art enseigné depuis longtemps en Russie, à l’époque de l’URSS comme aujourd’hui, nous raconte Nicolas Hénin.
Spécialiste du Moyen-Orient et des relations internationales, Nicolas Hénin s’était surtout, jusqu’ici, intéressé au monde arabe. Il est notamment l’auteur de « Jihad Academy », un livre consacré à l’essor de l’État islamique en Syrie et en Irak.
L’implication de la Russie sur le théâtre syrien fait que, désormais, ces sujets sont liés. Le « Poutinisme » se veut une alternative globale, même s’il n’a pas la force d’attraction qu’a eue, à une époque, le communisme soviétique. Et en nous dévoilant les ressorts de cet activisme russe, cette enquête fait un travail salutaire, car elle peut nous aider à nous immuniser, un peu, contre la « maskirovka ».
(1) LA FRANCE RUSSE, enquête sur les réseaux Poutine, Nicolas Hénin, Fayard, 322 p., 19 €
http://comite-ukraine.blogs.liberation.fr/2016/06/17/en-france-le-poutinisme-se-porte-bien/






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