Alors
que les relations entre l'Europe et la Russie se compliquent
de jour en jour, il paraît utile de rappeler quelques saines
vérités.
Premièrement,
en dépit de leur désir d'apaisement, les dirigeants européens
n'arrivent manifestement pas à obtenir une désescalade. Dans le
cadre d'une vraie stratégie, il faut définir un point précis où
la tension doit s'arrêter : les déclarations fermes sur les
sanctions molles dessinent un discours qui respire l'embarras bien
plus qu'il n'inspire le respect. On donne l'impression de suivre, en
version allégée, le régime sec prescrit par les Etats-Unis
- dont le commerce avec la Russie est devenu suffisamment secondaire
pour autoriser des rodomontades - alors que nos intérêts propres
exigent une attitude spécifique.
Admettons
que la situation n'est guère facile pour nos dirigeants : d'une
main, on voudrait en arriver à "parler" avec les Russes
(c'est-à-dire à se faire entendre d'eux), de l'autre, on a peur de
se faire encore posséder en relâchant la pression. Résultat :
l'Union européenne n'a aucune
prise sur les événements.
Deuxièmement,
on assiste à un véritable festival de discorde entre Européens,
dont un bref échantillon suffira. Sitôt que les Britanniques, qui
entretiennent avec les oligarques russes des rapports financiers
fructueux, ont émis l'idée d'infliger des sanctions appliquées au
domaine militaire (ce qui est comme par hasard sans effet pour le
Royaume-Uni), la France s'est trouvée forcée d'apporter une vague
réponse à une telle idée, puisqu'elle a, a fortiori, des contrats
de livraison d'armement en cours (en particulier deux bâtiments de
projection et de commandement, le Vladivostok
et le Sébastopol),
qui seront a priori honorés.
Quant à l'Allemagne, grande importatrice de
gaz russe et puissante exportatrice de biens de consommation, elle
n'entend guère aller plus loin dans les sanctions et fait de son
mieux pour les "affiner".
Troisièmement, pourquoi faut-il que le débat
français se divise, comme à l'accoutumée, entre pro-Russes et
anti-Russes, comme si le sujet était là ? Soyons franc, s'engager
dans une ligne dure produirait des effets en cascade - qu'il faudra
ensuite assumer seul. Par exemple, une visite de Vladimir Poutine à
Paris est prévue avant l'été prochain, afin de consacrer la
construction d'un centre culturel russe (et orthodoxe), sur la rive
gauche de la Seine ; or ce projet apparaîtra plus qu'incongru si la
tension ne baisse pas significativement d'ici là.
Poutine est, peut-être bien, en train d'affaiblir la position de la Russie
Question taboue : ne vaut-il pas mieux se
montrer, en public, ouvert au dialogue avec Poutine ; et, en privé,
adopter un ton très exigeant, voire implacable ? Au lieu de quoi
François Hollande n'est pas en si mauvais termes avec le maître du
Kremlin en huis clos, et affiche une fermeté de façade devant les
caméras.
Quatrièmement, malgré sa récente et facile
conquête, rien ne démontre de façon concluante que Vladimir
Poutine ait remporté une victoire décisive. Contrairement à la
Géorgie, en 2008, l'affaire de Crimée montre un certain degré
d'inconséquence. A l'échelle internationale, tout le savoir-faire
russe en matière de légalité internationale, savamment employé
contre l'Occident dans le cas de la Libye comme dans celui de la
Syrie, vole subitement en éclats. Poutine est, peut-être bien, en
train d'affaiblir la position de la Russie, en dépit des
apparences.
Cinquièmement, les sanctions réduisent les
marges de manoeuvre de la diplomatie. Soyons un brin irréaliste :
avec la mainmise de la Russie sur la Crimée, on aurait pu imaginer
qu'une occasion était enfin fournie de procéder à un dialogue
musclé avec les Russes au sujet de la Syrie. En vertu d'une
protestation maîtrisée sur la captation d'un territoire peuplé à
majorité de Russes, on aurait pu exiger une évolution dans le
soutien massif apporté par la Russie à Bachar el-Assad. On
n'obtiendra rien sur aucun des deux fronts...
En 1945, à Yalta, en Crimée, on s'est mis
d'accord pour instaurer la démocratie en Europe - et on en a retenu
le partage du monde entre deux blocs, contresens complet. Va-t-il
falloir y retourner pour mettre les choses au clair ?
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