La
vente de deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de la
classe Mistral à la Russie est un héritage encombrant de la
présidence de Nicolas Sarkozy. Engagés au lendemain de la guerre en
Géorgie, les pourparlers franco-russes avaient débouché en 2010,
des acomptes étant versés en 2011 et la cale du premier navire
posée en 2012 pour livraison à l’automne 2014. Les responsables
actuels sont pris entre un contrat en bonne et due forme (assorti
d’emplois bienvenus dans la région de Saint Nazaire) d’un côté,
et le devoir de solidarité avec nos alliés face à une Russie
néo-impériale de l’autre.
*
François Heisbourg est Conseiller spécial de la Fondation
pour la Recherche Stratégique
L’affaire
est lourde au plan symbolique : après la première annexion d’un
territoire européen par un autre État depuis la fin de la Deuxième
Guerre mondiale, comment imaginer une telle livraison, d’autant que
le second bâtiment, livrable l’année prochaine, porte le nom de
Sébastopol…
Les
bâtiments ont aussi une importance pratique considérable. Ce ne
sont certes pas des cuirassés : le seul armement propre de nos BPC
est constitué de défenses antiaériennes. Ils constituent pourtant
des bateaux de guerre redoutables, capables de commander des forces
interarmées, lancer des opérations amphibies, transporter des
dizaines de blindés, embarquer des hélicoptères de combat et
d’assaut (comme pendant la guerre de Libye), voire de servir de
plateforme à des avions à décollage vertical…
Le
BPC est un outil remarquable, une sorte de couteau suisse permettant
de faire face à des conflits qui se suivent, mais ne se ressemblent
pas. De surcroît, son coût ne représente qu’une fraction du prix
d’un porte-avions.
Livrer
ces navires, un acte honteux
Moscou
avait indiqué, avant ses opérations en Ukraine, qu’elle comptait
baser dans le Pacifique les deux BPC livrés par la France. Une fois
livrés, rien n’empêchera la Russie de les déployer comme elle
l’entendra, quitte à les utiliser de manière offensive contre nos
alliés et nos intérêts dans la Baltique, en mer Noire ou en
Méditerranée. Après tout, nos propres BPC nous ont servis au plus
près (Liban, Libye) comme au plus loin (Golfe de Guinée, Côte
d’Ivoire…).
La
livraison de tels navires serait donc non seulement un acte honteux,
mais une grande imprudence. Pour sa part, la non-livraison posera
d’abord le problème du contentieux commercial entraîné par la
rupture du contrat, avec à la clé la mise en péril d’emplois
industriels.
Ce
sera pénible, mais l’ensemble de la vente représente moins de 1,4
milliard d’euros, un chiffre relativement modeste au regard des
pertes liées à l’affaire Kerviel ou à l’amende que risque BNP
Paribas aux États-Unis.
Surtout,
la rupture unilatérale d’un contrat dans le domaine de la défense
fera apparaître notre pays comme un fournisseur peu fiable, y
compris aux yeux de nos alliés européens envisageant de s’équiper
en armement français. Nos concurrents, notamment américains, ne
seront pas les derniers à user de cet argument pour pousser leurs
propres exportations.
Dans
les quelques mois qui nous séparent de la livraison du Vladivostok,
la France doit donc obtenir de ses partenaires de l’Otan, le rachat
des BPC par l’Alliance atlantique, fût-ce pour un montant
largement symbolique, de manière à ce que notre refus de livraison
s’inscrive dans une opération conjointe et solidaire.
Article
paru dans Ouest-France jeudi 19 juin
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